L'AN 01

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Avant d’être un film, L’An 01 est une bande dessinée, publiée dans la première moitié des années 70 sous forme de série dans Politique hebdo, puis dans Charlie Mensuel et Charlie-Hebdo. Elle est signée par Georges Blondeaux, alias Gébé, dessinateur industriel défroqué et anar convaincu. Derrière son graphisme particulier, un rien anguleux, la BD propose tout simplement que l’on change de société. "On arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste". Effectivement.

Au sein de Charlie, Gébé n’a sans doute pas la surface médiatique de Cavanna, Reiser, Cabu ou Wolinski. Ce n’est pas pour autant un inconnu. Ses BD à la fois libertaires et surréalistes, Qu’est-ce que je fous là ? ou Cracher dans l'eau, ça ne fait plus de ronds, ont des admirateurs. Et c’est sous ses traits que Gotlib dessine l’inénarrable inspecteur Bougret dans ses Rubriques à Brac. Un personnage auquel Jean Rochefort prêtera ses traits dans le film de Patrice Leconte, Les Vécés étaient fermés de l’intérieur.

La BD de Gébé et le film qui en découle ne sont pas seulement jouissifs. Ils offrent à nos yeux ébahis le précieux avantage de proposer un catalogue des utopies post-soixante-huitardes. Soit l’avènement d’une nouvelle société, plus libre, où l’on renverse la hiérarchie des verbes être et avoir. Un monde où, pour reprendre un slogan de Mai, il n’est plus question de perdre sa vie à la gagner. Joyeusement foutraque, fait de bric et de broc, le film est dans l’air du temps, décidément rétif à l’autorité. Il rencontrera un joli succès lors de sa sortie, début 1973. Plus de 500 000 entrées !

 
Dans le même genre vous pouvez trouver THEMROC (C'est un film fou, libertaire, démesuré, infaisable sur le papier.) ou encore MES MEILLEURS COPAINS (C'est aussi un joli catalogue des utopies de mai).

L’An 01 a commencé le jour où Gébé a décidé de rompre avec le train-train et de claquer la porte de la SNCF, qui l’employait. La BD est née de l’idée que ce désir-là, celui de rêver sa vie plutôt que la subir, pouvait être partagé par d’autres. Un geste militant, d’une certaine manière, qui trouve son aboutissement dans le film. Parce que l’An 01 n’est pas une œuvre comme les autres.

Quand ils se lancent dans l’aventure, Gébé et Jacques Doillon, le réalisateur, n’ont pas de producteur, et le CNC leur a refusé l’Avance sur recettes. Ce sont les lecteurs de Charlie qui se cotisent pour financer un tournage rock’n’roll, pendant l’hiver 71/72, à travers toute la France, où les comédiens professionnels croisent les lecteurs qui ont foi dans le projet, accueillant l’équipe, fournissant une figuration nombreuse, et plus si affinité.

D’où l’impression de collage. Mais pouvait-il en être autrement, la BD de Gébé étant elle-même une suite de propositions parfois hétéroclites. L’An 01 est en tous cas le reflet d’une époque qui se plaît à remettre toutes les règles en question. Et le cinéma n’y échappe pas, qui produit quelques OVNI, tel le Themroc de Claude Faraldo, où les comédiens ne parlent pas, mais rugissent ou soupirent en fonction de leurs émotions du moment.

L’un des attraits premiers de l’An 01 est son casting. Il a beau être fauché, il n’en aligne pas moins une liste incroyable de grands comédiens et de personnalités en empathie avec les idéaux du film. Des transfuges du café-théâtre, comme Daniel Auteuil, Romain Bouteille, Gérard Jugnot, Coluche, Miou-Miou, Thierry Lhermitte, Josiane Balasko ou Christian Clavier. Des amis de passage, comme le chanteur François Béranger, qui apporte en dot quelques chansons libertaires ou Gotlib himself, en gardien de prison. Sans oublier Patrice Leconte, chauffeur de général. Ni Gérard Depardieu, dans l’un de ses premiers rôles. Et bien sûr la bande de Charlie, Cabu, Cavanna, Choron, Gébé, Reiser et Wolinski, dans le rôle à contre-emploi de conspirateurs réactionnaires.

L’An 01 est le premier long métrage de Jacques Doillon, qui avait jusque là fait carrière de monteur. Mais ce n’est pas la première collaboration du futur signataire du Petit Criminel avec Gébé, les deux hommes ayant concocté de concert un court métrage un an plus tôt : On ne se dit pas tout entre époux. La forme est en pleine accord avec le fond, et L’An 01 est d’abord un film collectif, riche de l’apport de tous ceux qui ont participé à l’aventure. Avec une mention particulière pour deux cinéastes déjà chevronnés, en empathie avec le propos.

Alain Resnais, qui se trouvait alors à New York, a filmé l’impact de la révolution douce imaginée par Gébé sur le monde de la finance Outre-Atlantique. Et Jean Rouch, qui envoie une joyeuse carte postale africaine. Le film semble évidemment daté, vu depuis ce XXIè siècle qui fait la gueule. Mais il est précieux pour retrouver l’esprit d’une époque insolente où tous les rêves étaient licites. Et si comme nous y invitaient Gébé, nous faisions nous aussi, pour briser les habitudes, un pas de côté…

L'An 01 n'est sans doute pas un film parfait, il est même bourré de défauts et traversé d'un parti pris qui ne laisse pas la place au doute. Alors évidemment, on peut, 40 ans après, faire la liste de ce qui ne marche pas, accuser, violemment critiquer sur le fond en ratant ...

J'ai découvert l'an 01 en cherchant des films sur les alternatives à notre societé. Je l'ai regardé sans savoir qu'il était tiré d'une BD, quand je l'ai su, j'ai tout de suite mieux compris ce qu'il m'avait géné. Parfois j'aurais eu besoin qu'un mec me dise "là on tourne ...

Découvrir cet "an 01" en 2012 permet de singuliers et révélateurs raccourcis. Comme le gros Gégé Depardieu, qui ouvre le film. Quarante ans après, il ouvre le meeting du président candidat parce que sans ce dernier, "quelques-unes de [ses] affaires à l'étranger auraient ...