MÉLODIE TZIGANE

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L'un des traits de caractères les plus marquants de Seijun Suzuki aura été son penchant pour les dissonances. Grand dynamiteur des codes de la série B japonaise, il aura apporté, notamment au film de yakuzas, une énergie visuelle et un esprit surréaliste parfois au bord du psychédélisme qui ont fait entrer ce genre dans la pop culture. 

Il est d'autant plus stupéfiant de découvrir Mélodie Tzigane, récit aux antipodes des bagarres de rue ou règlement de comptes entre clans. Suzuki oublie la démesure des années 60 pour filmer les mœurs corsetées du Japon des années 20 autour d'un triangle amoureux. Loin des soubresauts jazzy qu'il a longtemps pratiqués, Mélodie Tzigane détricote le modèle du mélo par une narration tournant à l'onirique. 

Film du come-back après une absence de dix ans due à un blacklisting, Mélodie Tzigane parvient à être aussi méditatif qu'agité dans sa narration disloquée, à la fois second souffle et sursaut virtuose pour un cinéaste décidément iconoclaste et insaisissable.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver DODES'KADEN (Peu connu, ce film d'Akira Kurosawa est tout autant en marge dans sa filmographie que Mélodie Tzigane dans celle de Suzuki) ou encore YUMEJI (Le 3e volet de la trilogie Taisho dont fait partie Mélodie Tzigane.).

Mélodie Tzigane est le premier volet de la trilogie Taisho (du nom de la période japonaise couvrant  de 1912 à 1925) mais surtout celui d'un nouveau départ dans la carrière de Seijun Suzuki. De cette évocation du passé – là où ce réalisateur a essentiellement signé des films contemporains- à un tournage quasi-exclusivement en décors naturels, alors qu'il a surtout travaillé en studio en passant par une longueur, plus de deux heures) opposée aux quatre-vingt-dix minutes réglementaires qu'il n'avait jamais outrepassées jusque là, Mélodie Tzigane semble conçu en réaction au sort réservé par la Nikkatsu à Suzuki. 

Douze ans auparavant, en 1968, le Studio, mit fin à son contrat, sous prétexte que « ses films étaient incompréhensibles et  ne rapportaient plus d'argent ». Une décision – renforcée par le retrait par la Nikkatsu des films que Suzuki avait réalisé pour eux- qui mena au blacklisting du réalisateur, qui se consacra pendant plusieurs années à un retentissant procès envers son employeur de longue date. Son retour au cinéma, en 1977, avec Histoire de mélancolie et de tristesse, sera un échec critique et public. 

Il sera réparé avec Mélodie Tzigane, film inspiré à la fois par un roman et les conversations de Suzuki et un voisin écrivain tournant autour des stratégies du jeu de Go. Les distributeurs restants réticents à le diffuser, il fut dans un premier temps exploité dans une salle gonflable et mobile construite par le producteur Genjiro Arato, avant de trouver, bouche-à-oreille très favorable aidant, le chemin des salles, puis de remporter quatre prix aux équivalents locaux des Oscars ou d'être  élu meilleur film japonais de 1980 par la critique. Une victoire au goût de revanche.