PIÈCE MONTÉE

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A égalité avec les enterrements, le mariage est sans nul doute l'évènement social qui permet le plus facilement aux cinéastes, dramaturges ou écrivains de s'attaquer aux conventions de la famille bourgeoise et d'en écailler avec joie le vernis d'hypocrisie. Si personne n'a oublié le traumatisant jeu de massacre de Festen de Lars Von Trier, ou le tragicomique A Wedding de Robert Altman, c'est sur un tout autre ton que Denys Granier-Deferre aborde son sujet : celui de la comédie chorale. Pièce Montée figure ainsi un beau mariage à la campagne, tout ce qu'il y a de plus conventionnel, et s'amuse à y semer la zizanie, finissant par révéler à chaque membre des deux familles réunies une vérité sur lui-même ou sur ses proches.

Les saynètes s'enchaînent à la vitesse d'un sermon bâclé, petits et grands secrets se fissurent gaiement, et les masques tombent dans l'acide et la bonne humeur. D'une facture très classique, ce film de 2010 fait donc le choix de la légèreté et du vaudeville pour aborder des thématiques éternelles comme la jalousie, le mensonge ou l'amour fou. Adapté d'un premier roman, écrit en 2006 par Blandine Le Callet, Pièce montée porte les traces de son origine littéraire : les dialogues y sont rois, et les situations comiques, telles des petites horloges viciées, y ont calibrées pour se dérégler progressivement, jusqu'à l'explosion finale.

Comme dans tout film choral, on trouve là une pléiade d'acteurs célèbres, de tous âges et issus d'horizon tout à fait variés. Il y a tout d'abord les deux époux, Jérémie Rénier et Clémence Poésy, qu'on associe généralement à un jeune cinéma d'auteur exigeant, au même titre qu'Aurore Clément, belle-mère pincée ou encore Hélène Fillières et Julie Depardieu, les deux nanas originales tentées par une aventure saphique. Il y aussi Charlotte de Turkheim, Dominique Lavanant ou Christophe Alévêque qui viennent de la télévision ou de la comédie populaire, et jouent dans un registre par conséquent plus truculent. Et il y a enfin Danielle Darrieux et Jean-Pierre Marielle, deux légendes du cinéma qui apportent une touche de mélancolie à cette comédie un peu folle.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver A WEDDING ou encore FESTEN .

Pièce montée signe le retour au cinéma de Denys Granier-Deferre après un hiatus de plus de vingt ans. Né en 1949, il a commencé sa carrière dans les années 70 comme assistant réalisateur, notamment sur les films de son père, Pierre Granier-Deferre. Ce dernier, dans les années 60, était un opposant à la Nouvelle Vague, préférant aux audaces formelles des jeunes turcs les bonnes vieilles recettes du cinéma de papa, croyant dur comme fer à la célèbre formule atrribuée à Jean Gabin, mais aussi à John Ford et à d'autres : « il faut trois choses pour faire un bon film : 1° une bonne histoire, 2° une bonne histoire et 3° une bonne histoire ». C'est justement avec Gabin que Pierre Granier-Deferre signa ses succès les plus notoires : La Horse en 1970, puis Le chat l'année suivante, une adaptation de Georges Simenon. Spécialisé dans le polar, il adapta plusieurs fois l'écrivain belge, en 1995 pour son dernier film de cinéma, Le petit garçon, et pour de nombreux épisodes de Maigret, dont il était l'un des réalisateurs fétiches. Nul doute que le père a su transmettre à son fils cet héritage littéraire et ce goût pour un cinéma académique de qualité, basé avant tout sur le scénario et les dialogues.

Pour en revenir à Denys Granier-Deferre, celui-ci réalise son premier film en 1982, Que les gros salaires lèvent le doigt, satire sur le monde du travail, suivi deux ans plus tard de la comédie vaudevillesque, Réveillon chez Bob, coécrite avec Jacques Audiard. Son troisième film, Blanc de Chine, plus ambitieux, est un échec public et critique en 1988, qui le détourne pour longtemps du cinéma. La télévision lui tend alors les bras, et il consacre les vingt-deux années suivantes à réaliser des téléfilms, notamment sur le général De Gaulle, ou des épisodes de série comme Maigret ou l'Instit'. Pièce montée se veut ainsi un film printanier et cruel, un film sur les occasions manquées et les nouveaux départ, métonymie parfaite de la carrière de son réalisateur.

A propos d'occasions manquées, une intrigue, plus émouvante, se détache des autres : celle des deux aïeuls qui, passés à côté du grand amour dans leur jeunesse, se décident à ne pas laisser filer cette seconde chance. Jean-Pierre Marielle, dans le rôle du curé atrabilaire, confère malice et impertinence à son personnage, avec son abattage habituel. Mais c'est surtout Danielle Darrieux qui, comme toujours depuis les années 40, nous cueille. Actrice française à la filmographie la plus imposante, cette éternelle coquette a joué, rappelons-le, sous la direction de Max Ophuls, de Joseph Mankiewicz, de Billy Wilder, de Sacha Guitry, d'Henri Decoin, de Jacques Demy, de Claude Chabrol, d'André Téchiné – n'en jetez plus, la liste pourrait ainsi continuer à défiler indéfiniment. Symbole international de grâce et d'élégance, celle qui a bien avant Brigitte Bardot imposé ses initiales DD comme signature, renoue là avec son rôle favori, celui de l'amoureuse avec un grand secret, et elle nous bouleverse toujours autant.

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