Une parfaite tragédie des temps modernes : unité de temps, unité de lieu. Réalisé en 1953, le film marque pour les historiens du cinéma la fin de la période la plus féconde de Vittorio de Sica, une ère particulièrement faste qui compte quatre chefs d'œuvre immortels : Sciuscia, Le Voleur de bicyclette, Miracle à Milan, Umberto D. Quatre piliers de ce néo-réalisme qui alors révolutionnait le cinéma mondial, lui insufflant une générosité sociale dont il était trop souvent dépourvu. Ce qui ne veut pas dire que les films qui suivront ne sont pas attachants.
L'émotion que dégage La Ciociara, Les Fleurs du soleil ou Le Jardin des Finzi-Contini n'est pas vaine. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il faille compter pour rien le travail d'acteur du séduisant metteur en scène, qui à travers une centaine de films a su imposer un personnage bienveillant et chaleureux. Plusieurs prestations sortent de l'ordinaire : il est l'amant de Danielle Darrieux dans Madame de, de Max Ophuls ; il est surtout cet inoubliable Général della Rovere, petit trafiquant pris pour un résistant dans le film éponyme de Roberto Rossellini. Comédien dans l'âme, de Sica savait se faire entendre des comédiens qu'il dirigeait. Et malgré le fossé de la langue, force est de reconnaître que les prestations de Jennifer Jones et de Montgommery Clift sont épatantes. Monty, comme on l'appelait alors, fait preuve une nouvelle fois de cette intensité qui caractérise son jeu et trahit des blessures qui n'avaient rien de fictives. Deux ans après avoir incarné un arriviste meurtrier dans Une place au soleil, de George Stevens, un an après avoir été ce prêtre torturé par le secret de la confession dans La Loi du silence, d'Alfred Hitchcock, quelques mois après avoir campé cet ancien boxeur en butte aux brimades dans Tant qu'il y aura des hommes, le comédien est au sommet de son art.
Secret, le regard magnétique, tourmenté jusqu'à la névrose, il est le digne représentant de cette génération à laquelle appartiennent James Dean, Marlon Brando ou Paul Newman, penchant pour la Méthode de l'Actor's studio, incarnant toutes les incertitudes de l'après-guerre. Ce n'est pas par hasard si John Huston lui demandera quelques années plus tard d'incarner le rôle du père de la psychanalyse dans Freud, Passions secrètes. Comédien essentiel, Montgomery Clift nous laisse des regrets. Non pas qu'il ait gâché son talent : Le Fleuve sauvage, d'Elia Kazan ou Les Misfits de John Huston sont à sa hauteur. Mais son évident inconfort devant la vie, son vertige existentiel l'ont empêché de connaître la longévité d'un Paul Newman : le comédien est mort en 1966, à l'âge de 46 ans.