UNE FEMME DOUCE

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Le titre du film de Sergeï Loznitsa est trompeur. Cette épopée d'une femme dans la Russie profonde actuelle est tout sauf doux. Connu pour un regard frontal sur son pays dans ses documentaires rédigeant un implacable état des lieux, le réalisateur convoque certaines sources de la littérature russe pour prolonger dans une fiction son étude du chaos.

Dostoievski d'abord, auquel Une femme douce reprend le titre d'un texte, mais aussi Gogol ou Boulgakov, pour le sens de l'absurde ou du désespoir. L'héroïne n'a pas de nom, on pourrait lui donner celui de Candide, tant elle découvre d'étapes en étapes le fonctionnement bureaucratique de la Russie.

Elle persiste pourtant dans sa démarche, mue par l'inébranlable volonté de revoir son mari prisonnier, accrochée au colis qu’elle veut lui remettre, comme à une bouée de sauvetage pour surnager dans un monde fait d'obstacles kafkaïens. Loznitsa les transforme en farce tragique, glissant d'un saisissant réalisme à un puissant surréalisme bunuelien.  Peut-être parce qu’une fable noire est le seul moyen d’exprimer le cauchemar d’une Russie contemporaine, revenue au bon vouloir des Tsars.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LEVIATHAN (Moins picaresque qu'Une femme douce, mais une tout aussi rugueuse vision du système russe) ou encore LA MORT DE STALINE (Un autre portrait de la corruption bureaucratique russe, cette fois-ci à l'époque stalinienne.).

Si Une femme douce regarde droit dans les yeux la Russie d’aujourd’hui, le film de Sergeï Loznitsa n’a pu se faire qu’avec les fonds d’une coproduction européenne et a été tourné en Lettonie. Une telle charge contre le système bureaucratique poutinien n’aurait pas pu être financée dans le pays du réalisateur. D’autant plus que de son aveu même, une partie seulement est de la pure fiction, le reste s’inspirant de faits divers et anecdotes qui lui ont été rapportés.

Cette femme sans nom est dès lors assumée comme un guide dans un monde plus kafkaïen que les œuvres de Kafka. A la base Loznitsa a d’ailleurs cherché à faire de ce personnage une résistante, avant d’y renoncer pour être certain que son film reflète bien l’absurdité et la cruauté d’une réalité. Et s’il a emprunté son titre à Dostoïevski, c’est pour signifier qu’à ses yeux rien n’a changé depuis ce que décrivait cet écrivain. Une femme douce ne faisant qu’une mise à jour sur une relation, toujours plus arbitraire, entre le pouvoir, l’autorité et les citoyens.

Pour que cette tragique cour des miracles reste au plus près de la vérité, Loznitsa a engagé de nombreux anciens prisonniers comme acteurs. Ils ont fini par devenir des conseillers techniques malgré eux, précisant au metteur en scène, ce qui, selon leur propre expérience du système carcéral, était plausible ou non, jusque dans les dialogues, certains réécrits au plus près de l’argot actuel des taulards. Parmi les autres sources utiles, Loznitsa a repris pour la dantesque séquence finale de procès, des parties des discours des représentants officiels lors des annuelles cérémonies honorant des personnalités reconnues comme modèles par l’Etat. Comme pour rappeler que la Russie est alors autant une mascarade qu’un enfer.

J’avais beaucoup aimé les deux films de Sergei Loznitsa que j’avais vus. My Joy et Dans la brume sont des films exigeants et comme je dis (de moins en moins) souvent qui se méritent. Une femme douce (en compétition à Cannes cette année, reparti bredouille) partait sur ...

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