CHLOE L'EMBRASEMENT

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Chloé l’embrasement, écrit et tourné en 2018 par Ovidie, serait sa dernière réalisation dans le genre, l’auteur préférant ensuite se consacrer au documentaire et à l’écriture. Elle retrouve à cette occasion le producteur de ses deux premiers films du début des années 2000, Orgies en noir et Lilith, et avec lequel elle avait démarré sa carrière d’actrice : Vidéo Marc Dorcel.

Il n’est jamais simple pour un cinéaste de travailler pour la maison Dorcel, qui aime imposer sa griffe et l’idée d’une pornographie chic plutôt conservatrice. Mais la cinéaste est au sommet de sa popularité, reconnue pour son parcours féministe prosexe. Chloé l’embrasement est donc une surprise étonnante dans le catalogue Dorcel. Ovidie prend toute la liberté d’y explorer à nouveau un point de vue féminin sur la sexualité. Cela implique le choix d’un sujet rarement abordé et des scènes explicites à contre-courant de ce que Marc Dorcel finance habituellement.

Chloé est une jeune femme de 28 ans, depuis longtemps en couple avec un garçon agréable. Elle semble heureuse mais elle n’a jamais connu le moindre orgasme. Au hasard d’une soirée, elle va le comprendre et chercher à vivre des expériences pour s’épanouir enfin. Ovidie aborde, avec l’orgasme féminin, le tabou suprême de la pornographie, un genre qui martèle l’incomparable capacité des hommes à faire jouir les femmes et pose comme principe que les femmes, évidemment, ont du plaisir. Ce qu’elle filme est avant tout la reconquête par une femme de son propre corps. Certes, un garçon plus inspiré ou plus désirable semble le déclencheur de cette prise de conscience ; même dans cette étreinte salvatrice, Ovidie prend soin de filmer, pendant la pénétration, son héroïne se masturbant. Elle remet à la première place de l’orgasme féminin un organe que la pornographie néglige ou même bannit : le clitoris.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver L'ENFER POUR MISS JONES (De Gerard Damiano, 1973. Sur un mode dramatique, portrait d'une femme qui découvre la sexualité et en explore toutes les possibilités. Mais après sa mort !) ou encore SHORTBUS (De John Cameron Mitchell, 2006. Autre portrait d'une femme n'ayant jamais connu l'orgasme; le Shortbus est un club érotique qu'elle commence à fréquenter dans l'espoir de se libérer de sa frustration.).

L’orgie secrète est l’une des séquences fortes de Chloé l’embrasement, architecture mouvante de corps se caressant, s’embrassant, expérimentant de nombreuses combinaisons dans une fluidité des sens et un abandon constant. C’est le genre de séquences, avec un éclairage restreint, dans lesquelles Ovidie excelle, cadrant elle-même au plus près des acteurs, tandis que son chef opérateur reste aux plans plus larges.

Le casting, chez Ovidie, se distingue toujours. Cherchant à bâtir une pornographie hors des sentiers battus, elle fait appel à des comédiennes performeuses. Ainsi Lina Bembe, d’origine mexicaine, s’est distinguée dans le porno indépendant européen, autant en Allemagne qu’en France. On a pu la voir dans The Mysandrists de Bruce LaBruce. Des acteurs bisexuels lui permettent de filmer des hommes entre eux. Doryann Marguet, découvert par HPG, vedette de nombreux pornos gays, est parvenu à s’inviter dans des productions hétérosexuelles, osant des scènes qu’un hardeur classique refuse d’accomplir. Déjà présent dans Les Prédatrices d’Ovidie, il témoigne ici de sa parfaite bisexualité dans la séquence de l’orgie.

Plus surprenant est l’apparition de Pierre Moro, jouant son propre rôle, celui d’un réalisateur porno affirmant l’importance des odeurs et des mots orduriers dans la sexualité. Personnage truculent, il produit et tourne depuis le milieu des années 1990 des petits films qui sont rarement mis en valeur par la critique spécialisée. Il aime dire qu’il tourne un « porno de terroir » et se soucie peu des convenances. Sa paillardise et sa provocation éclaboussent dès les titres des films, comme Peigne-toi la touffe, on reçoit ! ou encore Les Roubignolles du prof d’espagnol. En le filmant et en lui donnant la parole, Ovidie rend hommage à un pornographe dont les roboratives transgressions peuvent éclipser toute la scène prosexe indépendante. Comme elle le laisse l’affirmer, il est de bon ton de regarder des pornos sérieux ou labellisés « éthiques », mais ensuite il faut vite s’épancher sur une vidéo de Pierre Moro.