L'ARGENT DES AUTRES

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Il y a des films qui gagnent à se débarrasser de leur contexte. L'Argent des autres en fait partie. Même s'il a ramassé un paquet de prix à sa sortie, César du meilleur film français de 78, Prix Louis Delluc, il s'est bonifié avec le temps.

On peut avoir avoir oublié Claude Lipsky et ses drôles de manoeuvres financières, on peut avoir oublié le scandale du Patrimoine Foncier qui ébranla la France de Pompidou, on peut avoir oublié les divers chocs pétroliers ou monétaires qui perturbèrent l'époque, il est fascinant de regarder, depuis notre XXI ème siècle, comment la France des années 70 a découvert à la fois le chômage et les vilains secrets des grandes entreprises.

Le décalage entre les postures de ces cadres supérieurs et les attributs aujourd'hui ridicules de leur puissance (leurs 604, leurs interphones ou leurs raquettes de tennis à petit tamis) est impayable. D'autant plus qu'il est servi par un casting de rêve: Jean-Louis Trintignant, Catherine Deneuve, Claude Brasseur et Michel Serrault, qui scelle avec ce film son changement de registre, du comique au cynique.

Un petit pari entre amis avant de commencer le film: à quelle minute Jean-Louis Trintignant, fidèle à sa légende, réussira-t-il à caser quelques pas de course?

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LE SUCRE ou encore L'IMPRÉCATEUR .

Ce film, c'est d'abord la rencontre entre un réalisateur, Christian de Chalonge, et Michel Serrault, disparu en 2007. En près de 30 ans, les deux hommes auront tourné 6 films ensemble. Il y eut Malevil en 81, film post atomique avec Jacques Dutronc; Les 40 emes Rugissants en 82, avec Jacques Perrin et Julie Christie; Dr Petiot en 90, avec Serrault dans l'abominable rôle titre; le Comédien en 97, d'après Sacha Guitry et pour finir, à tous les sens du terme, une adaptation télé de L'Avare de Molière.

Mais L'Argent des autres s'inscrit également dans une période assez faste du cinéma français, dans un registre assez pointu: le grand film d'entreprise. L'année précédente, Jean-Louis Bertucelli avait signé l'adaptation d'un autre best-seller politico-financier: L'Imprécateur, sur les dessous (et même les sous-sols) d'une très très grande entreprise en train de se lézarder. Le casting, là aussi, était singulier et magnifique, avec Jean Yanne, Jean-Pierre Marielle, Michel Piccoli, Jean-Claude Brialy et Michael Lonsdale en costumes très sombres. Autre adaptation notable, l'année suivante, avec Le Sucre, de Jacques Rouffio, d'après une histoire de spéculation boursière décrite par Georges Conchon. Là, c'était au tour de Jean Carmet d'explorer un registre plus tragique que ses nombreuses pitreries antérieures.

Et puis ce serait dommage de se quitter sans avoir cité un autre monument du genre, légèrement plus tardif: Que les gros salaires lèvent le doigt, farce cruelle de Denys Granier-Deferre, en 82, avec un Jean Poiret impeccable en patron sadique qui invite ses cadres à venir passer un week-end de licenciement. Avec là encore, un contre-emploi pour un acteur comique. Décidément, dans le monde impitoyable de l'entreprise, la roche tarpéïenne est proche de la gaudriole.