LA FILLE DE RYAN

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David Lean était le roi du monde quand il entreprend en 1969, La fille de Ryan love story sur fond de guerre civile. Il sortait d’une décennie prodigieuse où il avait aligné quelques uns des plus grands films de l’histoire du cinéma, qui s’étaient avérés en plus de très grands succès : Le pont de la rivière Kwaï, Lawrence d’Arabie et Docteur Jivago. 

Après la guerre en Asie, la guerre en Arabie, il décida de porter le fer dans un village d’Irlande, mais en retrouvant la délicatesse d’une histoire d’amour comme celle de Brève rencontre. La jolie Sarah Miles devait y succomber au charme du bel officier anglais incarné par Christopher Jones.

Avec ce jeune acteur qui passait pour le nouveau James Dean, avec Robert Mitchum et Trevor Howard pour compléter le casting, le cinéaste avait fait fort. Avec Robert Bolt qui pour la troisième fois consécutive écrivait son nouveau film et Maurice Jarre qui en assurait la musique il pensait avoir mis tous les atouts de son côté. Pourtant La fille de Ryan fut un film maudit. Un grand film. Mais une œuvre incomprise qui allait laisser le cinéaste exsangue et en partie détruit. Aujourd’hui on la redécouvre avec sérénité et c’est tout simplement du grand cinéma. Regardez.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver SENSO DE LUCHINO VISCONTI (1954) (Pour la beauté plastique de ce mélo flamboyant qui voit la passion aveugle d'une aristocrate pour un bel officier autrichien. Cette liaison adultérine se double du sentiment de trahison pour la cause italienne... Un vrai choix cornélien entre le coeur et la raison et ne peut se terminer que dans la tragédie.) ou encore MADAME BOVARY DE CLAUDE CHABROL (1991) (Une étouffante adaptation du célèbre roman de Flaubert, officielle cette fois et mise en scène par celui que l'on considère toujours comme le peintre acide des passions bourgeoises. Une grande composition d'Isabelle Huppert qui croit chercher l'amour mais ne trouve que l'aventure.).

La fille de Ryan c’est d’abord Madame Bovary. Bolt et Lean ne se sont jamais caché de s’être inspiré de la languide héroïne de Flaubert. La fille de Ryan c’est aussi la femme du scénariste : Sarah Miles était en effet mariée avec le dramaturge Robert Bolt depuis 1967. Et la fille de Ryan c’est l’Irlande. Très précisément au sud-ouest dans la région de Dingle où le cinéaste toujours aussi démiurge a fait entièrement construire le village du film sur une colline très exposés aux vents.

Là, pendant neuf mois, deux cent maçons érigèrent les boutiques, l’école, l’église, le pub, bref un vrai village en dur. Pendant les travaux le casting continuait. Le plus difficile fut de choisir l'acteur pour incarner l’amant britannique de la jeune irlandaise. Il y avait bien Brando mais l’acteur avait refusé plusieurs films de David Lean y compris Lawrence d’Arabie au prétexte, je cite : qu’il ne voulait pas passer deux ans dans le désert à chevaucher un chameau. Cette fois il ne répondit même pas. Une offre fut faite à Peter O’Toole qui la refusa. Enfin on montra à David Lean le film Le miroir aux espions de Frank Pierson un film dans lequel jouait le jeune Christopher Jones. Lean fut agréablement surpris et décida d’embaucher le nouveau James Dean… Dans le rôle du mari trompé, après voir essuyé le refus de Paul Scofield et repoussé Gregory Peck, le cinéaste obtint Robert Mitchum. Le grand Bob allait profiter de ses loisirs pendant l’année de tournage  pour faire pousser de la marijuana dans son jardin et en faire profiter toute l’équipe. Bolt avait écrit le rôle du prêtre spécialement pour Alec Guinness. Mais l’acteur de conviction catholique établit une telle liste de remarques que David Lean le remercia de sa franchise et embaucha à sa place Trevor Howard.

Le tournage fut long et douloureux. Le climat pluvieux de l’Irlande allait contraindre l’équipe à s’exiler sur des plages d’Afrique du sud pour bénéficier enfin d’un peu de soleil. Mais surtout Christopher Jones se révéla un piètre acteur au point que le cinéaste dut le faire doubler. C’est aussi la raison pour laquelle son personnage est aussi taiseux dans le film. A sa sortie La Fille de ryan subit un éreintement  critique en règle. Cela causa trois victimes : Christopher Jones qui, dépressif, renonça à sa carrière, Leo Mc Kern qui, dégoûté, resta plusieurs années loin du cinéma et enfin David Lean qui resta quatorze ans sans tourner. Il ne revint que pour La route des indes son beau film testament en 1984. Seul John Mills qui incarne le muet reçut un oscar pour lequel il ne fit aucun commentaire. A l’arrivée c’est lui qui avait raison : le film est toujours là quand ses détracteurs ont disparu.

L’Histoire est cruelle : alors qu’il est à la fin des années soixante le pape d’Hollywood, que des superproductions comme Lawrence d’Arabie ou Le Docteur Jivago ont fait de lui LE créateur des grands classiques, David Lean se fracasse en 1970 sur les récifs de la modernité ...

Aujourd'hui, j'ai honte. Honte d'avoir mis vingt-huit ans pour voir ce chef-d'oeuvre. Honte d'être passé à côté, d'avoir pensé ne pas tenir plus de trois heures devant les déboires sentimentaux d'une midinette sous ombrelle. Honte de m'être trompé à ce point, honte d'avoir ...

Il est de ces films qui font partie de soi, des films qui vous marquent au-delà de tout, qui vous subjuguent, vous entraînent dans les méandres du rêve et de l'imagination, des films qui vous révèlent à vous-même et vous font sentir en totale adéquation avec votre moi ...