LE ROUGE EST MIS

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L’idée d’adapter Le rouge est mis, un roman noir sur fond de braquages, signé par un cador du genre, Auguste Le Breton, vient de Michel Audiard. Qui convainc Gilles Grangier et  Jean Gabin, de se lancer dans l’aventure avec lui, de part et d’autre de la caméra. Le trio venait de faire deux jolis films : Gas-oil et Le Sang à la tête. Il aurait été dommage de s’arrêter en si bon chemin. Le Breton est invité à collaborer à l’écriture du scénario, mais doit vite laisser la place à la gourmandise d’Audiard. L’objectif n’est pas modeste : rééditer le succès de Touchez pas au grisbi, qui trois ans plus tôt, en 1954, avait permis à la carrière de Gabin de reprendre un nouvel essor. 

De fait, Le rouge est mis est d’emblée un classique du genre. Jean Gabin est entouré par quelques-uns de ses complices habituels, Paul Frankeur et Lino Ventura en tête, les scènes de braquage sont aux petits oignons, et les relations un rien conflictuelles entre les hommes de la bande sont pour le moins passionnantes : la pègre n’est pas taillée d’un seul bloc, c’est ce qui fait son charme. Et le film nous fait entrer dans l’intimité des truands, révélant, mais ce n’est pas une surprise que ceux-ci ont également leurs faiblesses. Les liens familiaux, ou l’absence de liens familiaux, prennent ainsi une place fondamentale qui viennent perturber les projets des gangsters. Ce sont ces liens qui projettent peu à peu le film dans la tragédie, lui offrant un épilogue (dans une cage d’escalier) qui nous perturbe durablement. 

Jean Gabin et Gilles Grangier ont travaillé ensemble à douze occasions, de 1953, avec La Vierge du Rhin à 1969, avec Sous le signe du taureau. Autant dire que le cinéaste faisait partie de ces happy few avec qui le patron (un titre que personne n’aurait songé à refuser à Gabin) acceptait de travailler les yeux fermés. Dans les années 50 et 60, Denys de la Patellière et Henri Verneuil feront partie du lot, mais avec moins d’incidence. Tous les films ne sont évidemment pas d’égale réussite. Que l’on nous permette de plébisciter Le rouge est mis (à ne pas confondre avec le plus pâle Maigret voit rouge), Le Sang à la tête, Le Désordre et la Nuit et Le cave se rebiffe… Une bien belle brochette pour le cinéphile gourmand. En termes de box-office le plus gros succès de Grangier est pourtant sans Gabin : il s’agit de La Cuisine au beurre, une comédie gastronomique avec Fernandel et Bourvil.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver BRAQUEURS (Des braqueurs français, mais des braqueurs modernes et lourdement armés, à la manière de "Heat" de Michael Mann.) ou encore LE CLAN DES SICILIENS (Parce que c'est une autre adaptation d'un roman d'Auguste Le Breton. C'est aussi la rencontre de trois acteurs légendaires : Delon, Gabin et Ventura.).

L’auteur du roman n’est pas le premier venu : Auguste Le Breton compte parmi ceux qui ont su donner à l’argot ses lettres de noblesse littéraires et à la loi du milieu les bases de sa mythologie. Il est vrai que l’écrivain savait de quoi il parlait, ayant connu une enfance pour le moins difficile avant de tâter de la prison. La suite est plus glorieuse. Le Breton devient une plume de la Série noire. Une douzaine de ses romans seront adaptés au cinéma. Outre Le rouge est mis, les réussites les plus marquantes ont pour titre Le Clan des Siciliens ou Rafle sur la ville. Le Breton ne se montrera pas plus honoré que cela de l’intérêt des cinéastes, affichant même un certain dédain pour ce que l’écran lui renvoyait, à l’exception du tout premier film de la liste, Du rififi chez les hommes. Il était sans doute sévère : tous les films ne sont pas inscrits au rang de chef d’œuvre, mais ils dégagent dans leur ensemble de suaves effluves de ce cinéma hexagonal d’avant la Nouvelle vague qui titille gentiment les narines du cinéphile le plus coriace. 

Pour beaucoup Jean Gabin reste le plus grand acteur de France, et même, pour certains, du monde. Cela peut se discuter, mais il est évident que l’interprète de La Grande Illusion ou de Pépé le moko est un géant du 7è Art. Jusqu’à devenir la figure emblématique du cinéma d’avant-guerre, à travers des personnages appartenant au peuple, voyous et prolos confondus. La guerre interrompt sa carrière. Et quand Gabin renoue avec le cinéma, il n’est plus vraiment dans l’air du temps, d’autres jeunes premiers romantiques, Gérard Philipe ou Jean Marais, l’ayant supplanté dans le cœur des spectateurs, et surtout des spectatrices. Les historiens s’accordent pour dater de 1954 son réel retour en grâce, avec Touchez pas au grisbi. Mais cette seconde moitié de la carrière du comédien est fort différente : l’homme a vieilli et il incarne volontiers les patriarches ou les donneurs de leçons, à l’opposé du jeune révolté de ses débuts. Dont il conserve néanmoins quelques stigmates. Le personnage du Rouge est mis est à cet égard exemplaire, qui joue sur les deux tableaux : voyou au langage fleuri d’un côté, mais bourgeois respecté (mais peu respectable) de l’autre.

On l’a dit : quand Gabin est là, Audiard n’est pas très loin. Et Gilles Grangier a travaillé pendant des années avec l’un comme avec l’autre. Treize des films du cinéaste créditent Michel Audiard des dialogues, ce qui leur vaut naturellement d’être fleuris. Gabin était client ! Mais le fond est aussi passionnant que la forme, et il faut bien reconnaître que ces films-là portent une morale d’un autre temps, d’un temps où les classes populaires voulaient dire quelque chose. D’un temps où les idées étaient souvent sans nuance. Notamment vis-à-vis de la gente féminine. Le rouge est mis n’échappe pas à loi du genre, il est clairement mysogine. Le mépris qu’affiche le personnage interprété par Gabin vis-à-vis de la petite copine de son frère est terrible. C’est Annie Girardot qui incarne le rôle. Les scènes entre Gabin et elles sont absolument formidables, à l’instar de celles de Maigret tend un piège, où la comédienne incarnait la femme délaissée d’un homme soupçonné de plusieurs meurtres…

4ème long métrage de Gilles Grangier avec Jean Gabin sur une collaboration qui comptera 12 films ! Par là même Gabin en profite pour tourner son 3ème film avec son nouvel ami Lino Ventura après "Touchez pas au Grisbi" (1954) de Jacques Becker et "Razzia sur la chnouf" (1955) ...

Tout a été mis en place pour assurer le succès et le brio de ce drame criminel qui figure aux côtés de Touchez pas au grisbi ou Du rififi chez les hommes parmi les réussites du genre, même si la réalisation de Grangier ne possède pas le romantisme tragique des 2 films ...

"Le rouge est mis" est un film de Gilles Grangier tiré d'un roman d'Auguste Lebreton (Série Noire n° 213). Le scénario et les dialogues sont majoritairement d'Auguste Lebreton et partiellement de Michel Audiard. C'est un polar qui fait un peu mentir la légende de la solidarité ...