LES DEUX FRAGONARD

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Ancien élève de l’IDHEC, ancien critique de la revue Cinématographe, Philippe Le Guay a 32 ans lorsque sort sur les écrans français, en avril 1989, son tout premier long métrage : les Deux Fragonard.

Nous sommes au 18e siècle et ces deux Fragonard-là sont deux cousins nés à Grasse en 1732 : Jean-Honoré, le peintre bien connu des jolies marquises un peu légères, et Honoré – rebaptisé Cyprien pour la clarté du récit –, un anatomiste oublié, auteur de nombreux ʺécorchésʺ reconstitués à partir de vrais cadavres d’hommes et d’animaux. Entre le pinceau de l’un et le scalpel de l’autre, une femme : la jeune Marianne, charmante protégée d’un noble décadent qui exige que l’un peigne son visage et que l’autre la dissèque, une fois qu’il l’aura faite assassinée !

Dans le rôle de Fragonard-le-peintre, vous reconnaîtrez le comédien portugais Joaquim de Almeida, l’un des deux frères de Good morning Babilonia des frères Taviani ; dans celui de Fragonard-l’anatomiste, Robin Renucci, que l’on avait déjà vu notamment dans Vive la sociale ! de Gérard Mordillat, Escalier C de Jean-Charles Tacchella et Masques de Claude Chabrol. Tiraillée entre ces deux cousins si opposés, Marianne est incarnée par Philippine Leroy-Beaulieu, quatre ans après 3 hommes et un couffin de Coline Serreau, et le noble décadent, par Sami Frey, qui venait tout juste de retirer sa robe de bure de l’Œuvre au noir d’André Delvaux, d’après Marguerite Yourcenar.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver REMBRANDT (Un autre portrait de peintre, celui du hollandais Rembrandt, maitre du clair-obscur. Derrière la caméra, l'artiste Charles Matton, peintre et réalisateur.) ou encore RENOIR (Les deux Renoir, le père (peintre) et le fils (futur réalisateur), sont réunis à l'écran pour un émouvant passage de flambeau.).

C’est le sombre personnage du Fragonard-anatomiste qui déclencha chez Philippe Le Guay l’envie de raconter la rencontre entre ces deux cousins qui, chacun à leur manière, représentent ce 18e siècle, à la fois très libertin et très rationaliste. Pourtant, avec son coscénariste et ami – Jérôme Tonnerre, rencontré à l’IDHEC –, il ne souhaitait pas faire œuvre d’historien, encore moins de biographe. Si les deux personnages ont véritablement existé, leurs relations sont parfaitement imaginaires, et la présence de Marianne, pure invention scénaristique. « Elle est le pivot de l’intrigue » dira Le Guay, ajoutant que le corps, et surtout « la vision du corps », reste le véritable thème du film : pour Cyprien-le-scientifique, « c’est une machine », pour Honoré-l’hédoniste, « il est fait pour jouir ».

Dans l’Express, Robin Renucci, avouera qu’à la lecture du scénario, il se voyait plutôt dans le rôle du peintre. Mais il s’aperçut bientôt que l’anatomiste lui convenait mieux : « Ce n’est pas un morbide, se justifia-t-il, c’est quelqu’un qui, au contraire, cherche la vie à travers la connaissance [...] C’est un hypersensible et – sans jeu de mot – un écorché vif. [...] C’était un artiste à sa manière, [...] un artiste incompris puisque, toute son existence, il fut persécuté, obligé de vivre en reclus. [...] Ce qui m’a intéressé, d’ailleurs, c’est de faire sortir de l’ombre ce personnage injustement oublié. » Pour info, sachez que ses fameux ʺécorchésʺ sont toujours visibles aujourd’hui à l’Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, dont il fut le premier directeur et le premier professeur d’anatomie.

Pour ses débuts au cinéma, le futur réalisateur d’Alceste à bicyclette fut particulièrement malmené par la critique. Si, dans une remarquable unanimité, l’opposition de ces deux Fragonard semble, pour tous, une « belle idée » et même « une excellente  idée», voire « une idée magnifique », le traitement que lui a réservé Le Guay est, en revanche, systématiquement éreinté. « On rêve de ce que ce film aurait pu être entre les mains d’un vrai metteur en scène », lance l’Evénement du Jeudi. Pour l’Express, la mise en scène est « approximative » et le scénario « d’une incroyable confusion ». Sans plus d’égard, les Echos parlent d’un « océan de carton-pâte kitch et grand-guignolesque » ! Seul, le Figaro magazine prendra la défense du film, « dont l’intelligence, l’ambition et la beauté sont évidentes ». Après un téléfilm – dans lequel Isabelle Pasco faisait un don de moelle osseuse à Anthony Delon –, Philippe Le Guay ne revint au cinéma que six ans plus tard, avec l’Année Juliette, dans lequel, pour la première fois, il dirigea son futur acteur fétiche : Fabrice Luchini.