LES FEMMES S'EN BALANCENT

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C’est la troisième fois, après La Môme Vert-de-gris de Bernard Borderie (1953) et Cet homme est dangereux de Jean Sacha (1953), qu’Eddie Constantine endosse à l’écran le costume de Lemmy Caution. Ce personnage d’agent fédéral américain, charmeur, flegmatique, et redoutablement efficace, fut inventé en 1936 par Peter Cheyney (1896-1951). Celui-ci était un Britannique pur souche, policier de métier et écrivain à ses heures perdues, répondant au doux nom de Reginald Southouse et qui fit beaucoup pour la diffusion en Europe de l’argot américain. Pour les amoureux de polars, le nom de Peter Cheyney est mythique car deux de ses titres portent le numéro 1 et le numéro 2 de la célèbre Série Noire, lancée en 1945 en France par l’éditeur Marcel Duhamel : ce sont, respectivement, La Môme Vert-de-gris et Cet homme est dangereux.

Le réalisateur, Bernard Borderie, né en 1924, était le fils du producteur Raymond Borderie, fondateur de la Compagnie Industrielle et Commerciale Cinématographique qui, outre les films réalisés par son fils, produisit Les Enfants du Paradis de Marcel Carné en 1945, Le Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot en 1953 et Le Samouraï de Jean-Pierre Melville en 1967. Bernard Borderie, à qui l’on doit également la série des Angélique avec Michèle Mercier, celle des Gorille avec Lino Ventura et Les Trois Mousquetaires avec Gérard Barray, s’était fait une spécialité des films adaptés de la littérature populaire, et, pour ce qui est des aventures de Lemmy Caution, il en est le recordman avec six adaptations…

 
Dans le même genre vous pouvez trouver JAMES BOND CONTRE DR NO DE TERENCE YOUNG (DR. NO, 1962) ou encore LA MÔME VERT DE GRIS DE BERNARD BORDERIE, 1953, .

Eddie Constantine, de son vrai nom Edward Constantinowsky, est né en 1917 à Los Angeles de parents juifs russes. Tandis que son père était baryton, Eddie, lui, avait une belle voix de basse et son rêve était de devenir chanteur d’Opéra, comme papa. Il dut pourtant, pour survivre, pousser la chansonnette et devint, au milieu des années 30, choriste à la fois dans les publicités qui commençaient à fleurir à la radio et dans une soixantaine de films musicaux d’Hollywood. Ses amis s’appelaient Joan Croawford et Johnny Weissmuller : si l’on en croit ses mémoires, parues en 1955 sous le titre "Cet homme n’est pas dangereux", il entonna quelques duos avec la première, qui avait une très belle voix, et apprit le crawl avec le second, qui avait un très bon crawl. Eddie Constantine tenta ensuite sa chance à New York où il fut le garde du corps de Frank Sinatra et devint choriste au Radio City Center Theatre, puis à Londres où il enregistra ses deux premiers disques en tant que crooner américain. Mais, c’est finalement de la France qu’il tomba littéralement amoureux. Il s’y installa à la fin des années 1940 et y fit carrière. Non sans mal. De nouveau choriste pour des spots publicitaires en radio, il fit chou blanc dans plusieurs cabarets. Heureusement, il rencontra une certaine Edith Piaf qui le prit sous son aile et le fit engager pour l’opérette dont elle était la vedette La p’tite Lili, écrite par Marcel Achard et mise en scène par Raymond Rouleau à l’ABC.

Abandonnant peu à peu l’idée d’être chanteur d’Opéra, il essuya encore quelques refus avant de trouver sa voie vers le haut de l’affiche au début des années 50. Le cinéma, auquel il ne pensait pas, pensa à lui et, après un premier film tourné sous la direction de Victor Stoloff, Egypt by three en 1952, il devint donc Lemmy Caution dans La Môme vert-de-gris en 1953. Ensuite, il devait y revenir souvent, avec Cet homme est dangereux de Jean Sacha, la même année, Vous pigez ? réalisé par Pierre Chevalier en 1956, ainsi que dans les autres suites réalisées par le fidèle Borderie : Les femmes s'en balancent en 1954, Ces dames préfèrent le mambo en 1957, Comment qu'elle est en 1960, Lemmy pour les dames en 1962, et A toi de faire... mignonne en 1963.
Au début des années 1960, la Nouvelle vague s’intéresse à lui et il tourne sous la direction de Jean-Luc Godard le sketch La Paresse dans Les Sept Péchés capitaux (1961), apparaît dans Cléo de 5 à 7 de Agnès Varda et tient le rôle titre du film de Michel Deville, Lucky Jo en 1964. Il devait souvent interpréter des personnages portant le nom d’Eddie ou de Lemmy, notamment chez Raoul André (Ces messieurs de la famille), Jacques Bral (Une baleine qui avait mal aux dents). Si Godard l’immortalisa définitivement dans Alphaville, sous titré Une étrange aventure de Lemmy Caution, en 1965, puis dans Allemagne 9-0 vingt six ans plus tard, il connut encore quelques grands moments grâce à l’Allemand Rainer Werner Fassbinder dans Prenez garde à la sainte putain (Warnung vor einer heiligen Nutte) en 1971 et La Troisième Génération (Die Dritte Generation) en 1979 et grâce au Danois Lars Von Trier dans Europa en 1991. Plus intéressé par les courses hippiques que par le cinéma et le chant sur la fin de sa vie, il mourut en Allemagne, qui fut sa dernière patrie, le 25 février 1993.