MARCHÉ DE BRUTES

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On vante souvent les mérites d'Anthony Mann pour la qualité de ses westerns. Et c'est vrai que dans les années 50, il a offert quelques grands classiques du genre comme Winchester 73 et L'Homme de l'Ouest. Mais on aurait tort d'oublier qu'on a découvert les splendeurs de sa mise en scène avec les films criminels fauchés qu'il a réalisés à la fin des années 40. C'est le cas de Desperate en 1947 et surtout, l'année suivante, de La Brigade du suicide, qui s'attachait à l'enquête de deux détectives, agents du Trésor américain, chargés de démanteler un réseau de faux-monnayeurs.
C'est le succès de ce dernier film qui a incité à reconduire la même équipe pour tourner Marché de brutes dans la foulée. Le scénario est de nouveau écrit par John C. Higgins, la photo éclairée par John Alton, la musique de Paul Sawtell et le film produit par Edward Small pour sa société Reliance Pictures. La grande différence de Marché de brutes avec La Brigade du suicide, c'est que Dennis O'Keefe est passé de l'autre côté de la loi pour incarner cette fois un truand en cavales. Signalons encore que dans La Brigade du suicide, le film était commenté en voix off par Reed Hadley, narrateur de nombreux films criminels de la Fox à l'époque.
Alors que dans Marché de brutes, la voix off est féminine. C'est celle de Claire Trevor qui incarne la petite amie dévouée du protagoniste. Claire Trevor est connue pour avoir incarné la prostituée au grand cœur dans La Chevauchée fantastique de John Ford en 1939, mais il faut savoir qu'en 1948, l'année de Marché de brutes, elle a décroché l'Oscar du meilleur second rôle pour sa composition de chanteuse déchue dans Key Largo de John Huston.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver HIGH SIERRA ou encore LA BRIGADE DU SUICIDE .

Dans son Voyage à travers le cinéma américain, Martin Scorsese rend hommage aux clairs-obscurs du directeur de la photographie John Alton qui représentent à ses yeux « la quintessence du film noir ». Particulièrement, poursuit Scorsese dans des séries B comme Marché de brutes où Alton était libre d'expérimenter. Il faut dire que par la radicalité de ses choix de mise en scène Anthony Mann incitait Alton à innover. Comme par exemple au début dans la scène de l'évasion où la lumière des phares souligne la panique sur le visage de Claire Trevor avant que toute la fuite soit filmée du siège arrière de la voiture.
Une autre belle idée de mise en scène qui s'appuie sur la subtilité des éclairages est la fusillade dans la brume juste avant l'affrontement final. Alfred Hitchcock disait toujours que, au cinéma, « meilleur est le méchant, meilleur sera le film ». Un adage qu'Anthony Mann a parfaitement illustré dans ce Marché de brutes en confiant le rôle du criminel lâche et abject à Raymond Burr qu'il avait dirigé l'année précédente dans Desperate. Burr qui allait connaître une renommée mondiale en interprétant le rôle titre de la série L'Homme de fer surprend ici en lançant un bol de punch enflammé à la figure de sa maîtresse dans une séquence qui préfigure celle du café bouillant jeté au visage de Gloria Grahame dans Règlement de comptes de Fritz Lang (1953).
Un autre gangster flambloyant est celui interprété par John Ireland, qui a tenu des seconds rôles chez Ford (La Poursuite infernale) et Samuel Fuller (J'ai tué Jesse James). Il avait déjà collaboré avec Mann sur Railroaded et devait le retrouver une dernière fois en 1964 pour La Chute de l'empire romain. Pour être complet signalons que Marché de brutes est librement adapté d'une nouvelle dont le titre Corkscrew Alley est le nom des bas-fonds de San Francisco d'où est originaire le protagoniste.