SANG POUR SANG

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Les Frères Coen sont âgés d'à peine 30 ans (31 pour l'aîné Joel, 27 pour Ethan) lorsque sort dans les salles américaines, en 1984, leur premier film, sobrement intitulé Blood Simple. Originaires de Minneapolis, ils vivotent de boulots alimentaires lorsqu'ils décident, en 1980, d'écrire un scénario original, qu'ils souhaitent porter à l'écran, coûte que coûte. Ils n'ont alors pas d'autres expériences dans le cinéma que le montage d'un petit film d'horreur appelé à devenir un immense succès (il s'agit d'Evil Dead, de leur ami Sam Raimi), ainsi que la réalisation, lorsqu'ils étaient enfants, de quelques remakes de films hollywoodiens en super-8.

Ce scénario de film noir, d'une noirceur abyssale que seul l'ironie mordante vient contrebalancer, il leur faut trois ans pour le financer. Puisque qu'aucun studio n'en veut, ils empruntent l'argent à leur famille et à quelques amis. Ils parviennent ainsi à réunir la somme 750 000 dollars : une paille à l'échelle d'une production hollywoodienne, mais c'est toutefois suffisant pour tourner le film indépendamment, sans rien avoir à lâcher de leur liberté.

Les frères Coen se sont toujours révélés d'excellents directeurs d'acteurs, ce qu'ils prouvent dès leur premier film. Ainsi, ils ne se trompent pas en embauchant Frances McDormand pour le rôle de la femme adultère, puisqu'elle deviendra, outre l'épouse de Joel, leur actrice fétiche, remportant un oscar pour son rôle dans Fargo en 1996. Pour les rôles masculins, les frères font confiance à trois acteurs peu connus mais hauts en couleurs : M. Emmet Walsh, tout d'abord, qui se révèle génial en détective adipeux et répugnant ; John Getz, l'amant velléitaire, qu'on retrouvera en 1986 dans La Mouche, et aujourd'hui dans de nombreuses séries télévisées ; et Dan Hedaya, enfin, inoubliable producteur mafieux dans Mulholland Drive, qui donne ici ses traits au mari revanchard. A noter enfin que c'est Barry Sonnenfeld, alors chef opérateur débutant, qui signe la photographie de Blood Simple, sept ans avant de passer à la réalisation avec La Famille Addams en 1991.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver ASSURANCE SUR LA MORT DE BILLY WILDER ou encore EVIL DEAD DE SAM RAIMI .

Blood Simple est un scénario original mais largement influencé par le roman noir américain, et notamment par James M. Cain, l'auteur d'Assurance Sur La Mort ou du Facteur Sonne Toujours Deux Fois. Dans ces deux romans des années 30, considérés comme fondateurs du genre, on retrouve la même trame : un homme faible et velléitaire se trouve entrainé par une femme fatale dans une spirale meurtrière, qui le conduit, au mieux à la prison, au pire à la mort.

Sauf qu'à partir de ce schéma classique, les Frères Coen, qui sont tous sauf des copistes, tordent les règles, pervertissent les personnages, exacerbent les sentiments (surtout les mauvais), et recouvrent le tout d'une couche de cynisme et d'ironie, qu'ils n'abandonneront jamais tout à fait.

Si, comme l'on a coutume de dire, un premier film contient en germe toute l'oeuvre à venir d'un auteur, alors Blood Simple peut se lire à l'aune de cet adage. Tout d'abord, il s'agit d'un film noir, genre que les frères ont pratiqué de nombreuses fois, de Miller's Crossing à No Country For Old Men, en passant par Fargo ou The Barber. On y trouve en outre la plupart de leurs thèmes et motifs favoris : la fascination pour le cinéma classique hollywoodien des années 40 et 50 ; l'humour noir et la violence burlesque, inspiré des cartoons ou des Trois Stooges ; la perfection des cadres, travaillés en amont à l'aide de storyboards ; la débilité profonde des personnages, dont certains sont tout de même rattrapés par leur candeur, quand d'autres, moins chanceux, ne sont rattrapés que par la mort ; l'obsession pour la trace, enfin, qui fait des frères Coen des cinéastes existentialistes se posant sans cesse la même question : puisqu'on est de toute façon condamnés à mourir, que peut-on laisser dans ce monde ? Du sang, répondent-ils ici, du sang, tout simplement.