SLING BLADE

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Certains comédiens excellent à jouer les durs alors qu’ils ont joui dès leur enfance d’une existence dorée. C’est une question de talent. Mais ce n’est pas le cas de tout un chacun. Billy Bob Thornton par exemple. Il n’est pas nécessaire de tout savoir de cet acteur qui se plaît à rouler les mécaniques pour se douter qu’il ne faut pas lui chercher des noises. Natif de l’Arkansas, cet état du Middle West dont Bill Clinton fut gouverneur, Billy Bob n’est ni un intello de la côte Est ni un play-boy hâlé au soleil californien. Il se dégage ainsi de lui une authenticité douloureuse qui apporte une indéniable dimension supplémentaire à nombre de ses personnages. Parvenu à l’âge adulte notre homme a bouffé de la vache enragée plus souvent qu’à son tour avant de percer dans l’univers du cinéma. On murmure qu’il a dû séjourner plusieurs semaines à l’hôpital faute de s’être alimenté convenablement, les carences en potassium étant particulièrement criantes. Mais aujourd’hui il fait partie de ceux sur lesquels se bâtissent les projets. Il en est sans doute flatté mais ne change pas pour autant le regard distancié qu’il porte sur les vanités de ce monde. On l’aura compris, le rôle qu’il interprète dans Sling blade lui va comme un gant. Il est vrai que le metteur en scène ne pouvait qu’avoir la plus grande sympathie à l’égard de l’acteur, puisqu’il s’agit d’un film signé... Billy Bob Thornton. Son premier. Un film percutant, dérangeant, violent, qui laisse entrevoir non seulement la naissance d’un vrai cinéaste mais aussi la générosité d’un regard qui refuse toute complaisance…

 
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Les rôles d’attardés mentaux sont du pain béni pour les comédiens, ils leur donnent l’occasion de repousser un peu plus loin leurs limites et les incitent à chercher en eux-mêmes des ressources jusque là inexploitées. On se souvient de Dustin Hoffman dans Rain man, de Harrison Ford dans A propos d’Henry, de Robert de Niro dans L’Eveil. Trois films estimables mais dont la patine hollywoodienne limite quelque peu l’émotion dont ils sont porteurs. Sling blade est à cet égard plus fort, pas une seconde nous ne pensons assister à un numéro d’acteur. Il est vrai que Billy Bob Thornton n’a pas la carrure médiatique des trois comédiens cités. Et ce qui est vrai aujourd’hui l’était a fortiori en 1997, alors que notre homme n’avait pas encore acquis le statut qui est maintenant le sien.

Le film ne justifie en rien les accès de violence de son personnage principal, mais il en démonte les tenants et aboutissants pour au final plaider pour le droit à la différence. C’est d’ailleurs clairement le personnage de Doyle Hargraves qui est fustigé ici, dont l’intolérance vis à vis de ceux qui l’entourent est une constante du film. La façon dont il humilie le patron de sa femme, dont l’homosexualité ne fait aucun doute, en dit long sur ses tendances profondes. On ignore quelles étaient les relations de Billy Bob avec son propre père, professeur de son état (sa mère était quant à elle voyante extralucide), mais force est de reconnaître que dans ce film manifeste l’image du père est passablement médiocre. C’est le grand Robert Duvall qui se glisse ici dans la peau du paternel abhorré, l’occasion de l’une de ces compositions dont il a le secret et qui émaillent une filmo dont la richesse est peu commune, et qui ne saurait se résumer bien entendu à sa mémorable prestation dans Apocalypse now, quand il fait raser au napalm un village entier afin de pouvoir se livrer aux joies du surf... Robert Duvall qui lui aussi s’affiche comme un digne représentant de l’Amérique profonde et dont le premier film derrière la caméra portait un titre sans ambiguïté : We’re not the jet set. Nous ne sommes pas de la jet set ! Un prêté pour un rendu d’ailleurs puisque Duvall prendra Billy Bob dans l’un de ses films, Le Prédicateur, pour incarner un fauteur de troubles. Tiens donc !

Notons que la musique du film est signée par Daniel Lanois, un musicien et producteur québécois qui a travaillé avec les plus grands, de U2 à Bob Dylan. Sa présence souligne l’intérêt de Billy Bob Thornton pour le rock et la country, lui qui était batteur dans un groupe, Stone Cold Fever, du temps de sa fougueuse jeunesse, dont la particularité était de reprendre les tubes de Creedence Clearwater Revival. Son premier film derrière la caméra est d’ailleurs la captation d’un concert d’un groupe peu connu de ce côté-ci de l’Atlantique, Widespread Panic, un concert donné à Athens, en Géorgie, sur les terres de REM...

Outre Sling Blades, Billy Bob a signé deux autres longs métrages de fiction. Daddy and them, une comédie grinçante où il donne la réplique à Laura Dern, l’histoire d’une famille pas comme les autres...Et surtout De si jolis chevaux, un western dont Billy Bob est absent en tant que comédien, mais qui donne la part belle à un couple de cinéma inédit : Matt Damon et Penélope Cruz. L’histoire est celle d’un cow-boy qui a le malheur de tomber amoureux de la fille du plus gros propriétaire de bétail de la région... On le voit Billy Bob aime les rebelles, les moutons noirs, les mavericks comme on dit au pays de l’Oncle Sam.

D’ailleurs ses rapports aux autres sont dans le civil souvent brut de décoffrage. Il l’avoue sans fausse pudeur : « Je suis plutôt embarrassé par la communauté hollywoodienne. J’adore faire des films, j’adore jouer, mais je ne suis pas fou du système hollywoodien. Du coup la façon dont ils m’embrassent me choque, parce que je leur dis en permanence de m’embrasser le cul... Je me demande pourquoi ils ne m’ont pas viré depuis longtemps » Décidément, lui non plus n’est pas de la jet set !

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