Traitre sur commande est un film maudit. Il a d’abord été un échec sanglant qui a mis tous ses artistes en difficulté. Martin Ritt le cinéaste d’abord: s’il fut nommé pour l’oscar de la meilleure direction artistique il repartit sans statuette. Richard Harris dont c’était la chance de devenir une star vit sa carrière décliner dans les années suivantes jusqu’à ce qu’il s’installe dans un statut d’excellent second rôle. Sean Connery, supposé un poison du Box-Office quand il ne jouait pas James Bond, ne rassura personne. Il devra attendre cinq ans et L’homme qui voulut être roi de John Huston pour retrouver des altitudes de croisière.
Il faut dire que les chiffres étaient terribles: le film a couté 11 millions de dollars et n’a rapporté que 10% de la somme initiale. L’histoire était inspirée de faits réels: les Molly Maguires étaient un groupe secret et violent de mineurs irlandais radicalisés qui luttaient contre la domination sociale des notables de l’industrie du charbon. Au scénario et à la production, un revenant du maccarthysme, Walter Bernstein, savait de quoi il parlait, lui qui avait subi la délation et été blacklisté vingt ans auparavant. La Paramount mit le paquet. On tourna à l’été 1968 à Eckley ancienne ville mineure de Pennsylvanie sur le point de mettre la clé sous la porte. La major y investit pour y construire des décors conformes à la période évoquée, notamment un boyau de mine d’une longueur de 122 mètres. Mais si le film prit le grisou, la ville fut ressuscitée au point qu’elle ouvrit un musée de la mine qui existe toujours. Sean Connery et Richard Harris s’entendirent tellement bien qu’ils devinrent des amis de trente ans. Pourtant le nom d’Harris fut au générique placé au-dessus de celui de Connery alors qu’il était bien plus connu. Mais comme dira l’Ecossais: « pour le prix qu’ils m’ont payé, ils auraient aussi bien pu placer une mule au-dessus de mon nom ». La vérité c’est qu’il n’intervenait réellement dans le film que dans la seconde moitié.
Cette oeuvre est aussi fameuse pour un certain nombre d’audaces : si la publicité vanta la plus longue bagarre au poing de l’histoire du cinéma -elle dure cinq minutes entre Art Lund et Richard Harris-, elle se garda bien de signaler qu’au début il ne s’y dit rien pendant 14 minutes. Impressionnante évocation du mutisme des hommes et des bruits de la mine puis de l’explosion. Martin Ritt fit appel au grand Henry Mancini, le compositeur de tant de BO de chef d’oeuvres hollywoodien de l’âge classique et mondialement connu pour le thème de la Panthère rose. Il composa pour ce film social une musique modale d’inspiration irlandaise, considérée comme une de ses partitions les plus novatrices.
Martin Ritt ancien acteur, homme de théâtre, cinéaste engagé a beaucoup illustré par son cinéma les revendications sociales ou des droits civiques. On se souvient de L’homme qui tua la peur (1957) et surtout de Norma Rae en 1979 film féministe sur la classe ouvrière américaine qui permit à Sally Field de remporter à la fois l’Oscar de la meilleure actrice et le prix d’interprétation féminine à Cannes. La classe ouvrière va au paradis, surtout quand on ressuscite de grands films oubliés comme celui-ci.