Claude Miller, change de registre. Après « Je suis heureux que ma mère soit vivante », il s’inspire d’une nouvelle de l’écrivain Roy Parvin (« La petite fille de Menno »). Librement, très librement : Vic, dans le livre, était un écrivain à la Jim Harrison. En choisissant l’extraordinaire James Thierrée, petit fils de Chaplin, poète, mime, clown, acrobate et magicien de la scène, il donne à la première partie du film une dimension onirique, avant de nous plonger, au fin fond d’un Canada immense, inquiétant, noyé dans la neige et le silence. On le sait depuis longtemps. Même si Miller explore toujours les mêmes thèmes (le secret, le rapport à l’enfance, une réflexion sur l’image), depuis La Chambre des magiciennes, son téléfilm tourné en DV, le réalisateur est en quête d'un cinéma plus spontané, plus libre. Parfois ça passe (La Chambre des magiciennes, subtil), parfois ça coince (La Petite Lili). Ici, sa soif de liberté passe par les ruptures de ton et par une structure narrative éclatée (multiplication des flash-backs, répétition d'une même scène avec changement de point de vue, alternance de séquences humoristiques et de longs passages contemplatifs) qui reconstruisent doucement le puzzle des deux vies contradictoires d’un homme adulé et mal dans sa peau. Il faut accepter d'avaler le rencontre « coïncidence » des deux femmes, même si les deux actrices apportent ce qu’il faut d’authenticité aux rôles (Marina Hands superbe en femme blessée et Maya Sansa impeccable en madone des neiges). Parce que une fois passée cette aspérité (et le portrait des deux femmes parfois trop schématique), Voyez comme ils dansent devient un film plein de nuances, vibrant, audacieux. Deux femmes, dans le huis clos d’une communauté reculée, contraintes d’évoquer ensemble le souvenir d’un homme qu’elles ont aimé. Un homme, prisonnier du conflit entre son moi social et son moi intime. Le train et l'immensité des steppes canadiennes... Claude Miller a conçu son odyssée en termes d'opposition, de contraires. Le résultat est à la fois douloureux et magnifique, comme cette scène terrible, bergmanienne, où Vic, sur scène, règle ses comptes avec son père assis à l'orchestre.