WILD RIVER

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S'il est un cinéaste qui a eu un rapport des plus intenses à l'Amérique, c'est bien Elia Kazan. Tous ses films se sont nourris de cette relation, toute en contradictions au pays d'accueil de ce Turc de naissance, mais rapidement Américain d'adoption.

En 1960, il est reconnu comme l'un des cinéastes ayant modernisé le cinéma américain via la création de l'Actor's studio et ses techniques de jeu poussant des comédiens comme James Dean ou Marlon Brando à s'identifier pleinement à leurs rôles, Kazan, libéré de son contrat avec la Warner, veut s'attaquer à un cycle de films affinant sa vision des USA. Wild River fera cette transition en prolongeant des thèmes abordés précédemment, de l'héritage culturel et familal dans A l'Est d'Eden à l'identité masculine et ses frustrations dans Un tramway nommé désir ou Baby doll, tout en ouvrant une veine autobiographique.

Pour cela, il va suivre un employé chargé d'exproprier les habitants d'une île, mais surtout situer Wild River au début des années 30 au moment où Roosevelt a posé les jalons du New Deal, acte de la reconstruction des USA tout juste remise de la crise de 29. Kazan combinant deux romans et sa propre expérience d'une nation passant d'une faillite économique à celle morale. Sans pour autant la stigmatiser quand Wild River esquisse via la rencontre entre un homme et une femme qui vont devoir s'affranchir de leurs convictions respectives, les fondements d'une nouvelle civilisation américaine croyant au progressisme quel que soient les barrages qui se dressent contre elle.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver NOTRE PAIN QUOTIDIEN (Le renouveau du monde ouvrier filmé par King Vidor, dans une Amérique tout juste sortie de la crise de 29) ou encore GABRIEL OVER THE WHITE HOUSE (Un classique de la comédie américaine post-crise autour de la figure de Roosevelt et du New Deal).

Si la rupture de son contrat avec Jack Warner donne des ailes à Elia Kazan, il n'a pas les ressources suffisantes pour supporter économiquement Wild River. Il en sera bien le producteur mais doit se retourner vers un autre studio, La 20th century Fox pour financer et distribuer un film qui lui tient à cœur. Kazan avait en effet en tête depuis plus de vingt ans l'envie de revenir sur son séjour à travers les états du Sud qu'il avait traversé en s'engageant dans la campagne du New Deal, notamment en travaillant pour la Tennessee Valley Autority, société chargée de rebâtir le développement économique du Tennessee. Un job qui le mit au contact de la population de l'Amérique profonde.

Une vision incompatible avec celle de la Fox qui tenta de lui imposer Marilyn Monroe pour interpréter Carol, cette femme partagée entre ses racines et l'horizon que lui ouvre Chuck. Lui tient à Lee Remick, une de ses premières élèves à l'Actor's studio, qu'il a déjà fait tourner dans Un homme dans la foule. Entre autres parce qu'elle correspond mieux au flux du film, à sa transformation progressive poussée par le désir ou la frustration, là où Monroe symbolisait naturellement une femme insoumise ayant pris sa vie en main.

Celle de Montgomery Clift ne va pas très bien lorsque le réalisateur l'approche pour le rôle de Chuck. L'acteur porte les séquelles de l'accident de voiture qui a failli lui couter la vie quatre ans plus tôt : une addiction aux analgésiques pour supporter la douleur des multiples opérations chirurgicales et à l'alcool. Kazan espérait pouvoir confier le personnage à Marlon Brando, son acteur fétiche, mais celui-ci étant contractuellement indisponible, il considéra que l'idée de reconstruction qui irrigue Wild River, profiterait aussi à Clift, qui dans un premier temps remonta la pente avant de sombrer de plus belle dans l'alcoolisme dans les derniers jours de tournage. L'année suivante, Clift tournera Les désaxés, le classique de John Huston qui estompera injustement Wild River, tout aussi immense étude d'un certain mal-être américain.

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