LE MAS DES ALOUETTES

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Le Mas des alouettes raconte un génocide auquel Paolo et Vittorio Taviani n’ont longtemps pas cru. Ce n’est en effet qu’en découvrant le livre d’Antonia Arslan, Il était une fois en Arménie, que les cinéastes italiens ont réalisé la vraie teneur des propos de la domestique d’origine arménienne qu’ils ont un temps employée. Lorsque cette rescapée du massacre, provoqué par des soldats trucs en 1915, leur racontait ce qu’elle avait traversé, les réalisateurs trouvaient ses propos si insoutenables qu’ils croyaient qu’elle affabulait.

Il y a donc, dans leur décision de porter ce roman à l’écran, une certaine dose de culpabilité. Il y a également la volonté de conter une tragédie historique qu’ils considèrent, de l’Arménie à l’Allemagne fasciste en passant par la guerre des Balkans, comme un perpétuel recommencement.

Ne voulant céder sur rien, les Taviani livrent un récit très dur. Mais ils filment aussi une œuvre romantique, un drame sur une famille décimée, dominé par le destin d’un couple maudit formée par une jeune arménienne et un soldat turc. C’est à mi-chemin entre cette violence sans concession et le romanesque de ces trajectoires individuelles, que les Taviani ont voulu situer Le Mas des alouettes, une œuvre qu’ils envisagent comme une pierre dans l’édifice de la cause arménienne.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver AU PAYS DU SANG ET DU MIEL (La réalisatrice, pour évoquer un autre génocide du vingtième siècle, fait des choix similaires à ceux des Taviani, un mélange entre la dureté des images et la description romanesque d'un amour forcément maudit.) ou encore ARARAT (Parce que ce film est peut-être l'évocation cinématographique la plus célèbre du génocide arménien, dans un cadre narratif très différent du Mas des alouettes.).

Avec Le Mas des alouettes, les frères Taviani ressuscitent une vieille et noble tradition du cinéma italien : la fresque historique internationale. Comme lors de la faste période des années 70, la distribution du film aligne en effet des stars françaises et espagnoles, tels que André Dussollier, Tcheky Karyo ou Paz Vega, ainsi que des acteurs allemands et, bien entendu, des italiens. Dans ce groupe bigarré, il est un nom qui émerge plus particulièrement : celui d’Arsinée Khajian, qui joue l’épouse du grand bourgeois arménien incarné par Karyo.

Pour cette actrice canadienne d’origine arménienne, le devoir de mémoire du génocide est une nécessité qui a guidé une bonne partie de sa carrière. Elle est d’ailleurs une des principales interprètes du long métrage sans doute le plus connu sur la tragédie arménienne : Ararat, tourné et écrit par son propre époux, le metteur en scène québécois Atom Egoyan. La sensibilité extrême de Khajian sur ce sujet poussera les cinéastes à la ménager, notamment lors de la scène violente de la mort de son mari, tournée en une seule prise et sans répétions. C’est également la comédienne qui, dans un entretien, évoque la délicate question des pressions gouvernementales.

En effet, pour le gouvernement turc, le génocide arménien et sa reconnaissance historique demeurent un tabou extrêmement sensible. Le ministre des affaires étrangères tentera d’ailleurs plusieurs fois de stopper la production du film, sans succès. Les problèmes ne s’arrêteront pas là, puisque le film est présenté en 2007 au festival du film de Berlin, c’est-à-dire au cœur d’un pays comptant une importante population d’origine turque. La direction du festival, craignant des émeutes potentielles, jugera la situation suffisamment explosive pour engager, le jour de la projection, des agents de sécurité supplémentaires.

L’auteur du roman d’origine est, quant à elle, particulièrement satisfaite du résultat. L’écrivaine avait refusé plusieurs offres d’Hollywood. Elle préférait que cette histoire, qui est celle de sa famille, soit racontée par des cinéastes à la réputation politique aussi impeccable et inattaquable que Paolo et Vittorio Taviani.