LIBERTÉ, ÉGALITÉ, CHOUCROUTE

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Quand on se penche sur la carrière de Jean Yanne, on s’aperçoit assez vite qu’il serait plus rapide de lister ce qu’il n’a pas fait, spahi ou plongeur en eau profonde, et encore, on n’en a pas la preuve, plutôt que de revenir sur l’ensemble de ses faits et armes. Car il est tour à tour journaliste, chansonnier, auteur de sketchs, de bandes dessinées, animateur radio et chanteur (parodique)… Avant de tâter du petit écran (avec son compère Jacques Martin) puis de se lancer dans une très prolifique carrière de comédien au cinéma. Où les rôles tragiques égalent ceux qui tirent davantage vers la gaudriole. Même le comédien laisse entendre très souvent une même petite musique, émanant d’un rouspéteur patenté, entre cynisme et désarroi.

Mais se glissant, comme tant de comédiens tentés par la mise en scène, derrière la caméra, Yanne laboure exclusivement les terres de la comédie satirique. De 1972, et son Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et 1984, qui voit éclore Liberté, Egalité, Choucroute, notre homme signe sept films. Ce n’est pas rien. Qu’il s’agisse de films contemporains, comme Moi y’en a vouloir des sous ou Chobizenesse ou qu’il se mette en tête d’explorer l’Histoire à sa façon, très personnelle, avec Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, Yanne fustige ses contemporains sans prendre de gants, renvoyant droite et gauche, patrons et ouvriers dans le même méli-mélo plus chansonnier que véritablement revendicatif. Liberté, Egalité, Choucroute est à cet égard un modèle du genre…

Pour l’occasion, Yanne a constitué un casting d’enfer. Michel Serrault incarne Louis XVI avec une inspiration égale à celle qu’il avait déployée pour être Jules César dans Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ. Et son complice de toujours, Jean Poiret campe le calife de Bagdad, accompagné par son vizir, Daniel Prévost. Charlotte Corday est Mimi Coutelier, qui entre deux prises est aussi la compagne de Yanne. On le comprend, le film est une affaire de famille, ou du moins de copains. Gérard Darmon en Mirabeau, Roland Giraud en Robespierre, Olivier de Kersauson en Danton forment les rangs révolutionnaires, Jean Yanne s’étant gardé le rôle de Marat. Qui d’ordinaire passe pour étant un tribun sanguinaire. Mais il est vrai qu’ici la vérité historique n’est pas respectée à la virgule, et c’est peu dire…

 
Dans le même genre vous pouvez trouver MONTY PYTHON : SACRÉ GRAAL ! (Parce que les comiques anglais font un sort à la légende du roi Arthur. Un sommet d'absurde qui réinvente avec brio le Moyen-âge.) ou encore LES VISITEURS - LA RÉVOLUTION (Une autre parodie de la Révolution française, dans laquelle le chevalier médiéval Godefroy et sa fripouille de serviteur assistent à la fin de la royauté.).

La Révolution française reste un événement majeur de l’Histoire de notre pays, et même du monde tant son écho s’est révélé retentissant. Le cinéma s’en est naturellement emparé, que ce soit en Italie, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Et bien sûr en France, où l’on ne compte plus les films qui utilisent la très romanesque trame de ce qui s’est déroulé entre 1789 et 1793. Certains ont l’ambition de mettre le mouvement révolutionnaire en perspective, comme La Marseillaise de Renoir ou Un peuple et son roi de Pierre Schoeller. D’autres n’ont d’autre ambition que d’utiliser les ressorts de l’Histoire pour donner du relief à leurs bondissants personnages, comme Les Mariés de l’An II, de Jean-Paul Rappeneau ou La Tulipe noire, de Christian-Jaque. Plus rares sont les  films qui y trouvent un terrain propice à la comédie, comme Les Visiteurs : La Révolution. Ou bien sûr Liberté, Egalité, Choucroute.

Si l’égalité et la choucroute restent hors champ, la liberté du film de Jean Yanne est éclatante. A commencer sur le plan historique, les anachronismes, les allusions à des événements contemporains étant légion. Mais ce sont les uchronies du film qui nous subjuguent. Bien avant Quentin Tarantino, qui nous a révélé dans Inglorious Basterds qu’Hitler a été victime d’un attentat dans un cinéma français, Jean Yanne expliquait que Marat avait échappé au couteau de Charlotte Corday ou que les principales figures de la Révolution, Robespierre et Danton en tête, avaient tenté de fuir à Varennes avec le roi… Cette légèreté volontaire vis-à-vis de l’Histoire trouve son acmé dans la visite du calife de Bagdad à Paris à l’occasion du Salon de l’équipement de bourreau (où l’on présente la guillotine). Que le film soit construit sur un calembour aussi approximatif ne peut que nous réjouir. Seul Jean Yanne pouvait se le permettre, il se l’est permis.

Si Yanne se moque, il ne le fait pas pour autant gratuitement. Son état d’esprit est sommes toutes assez proche de celui des Monty Python, qui à l’époque de Sacré Graal ou de La Vie de Brian revisitaient l’Histoire en éclatant de rire pour mieux en épingler les monstruosités. La tentation est grande bien sûr de mettre le passé en images pour mieux brocarder le présent. C’était le cas dans Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ. Et plus encore dans l’étonnant Les Chinois à Paris où, sous couvert d’imaginer l’occupation de la France par les gardes rouges de Mao, Yanne avait raillé sans ménagement le comportement des collabos et des profiteurs de tous poils, ne ménageant pas pour autant les résistants. Chez Yanne, tout le monde en prend pour son grade. Liberté, Egalité, Choucroute n’est donc pas un film révolutionnaire, que ce soit sur le plan politique ou même sur le plan esthétique (on a connu Yanne-cinéaste plus imaginatif), mais c’est une bourrasque d’insolence dont on ne voit guère d’équivalents contemporains. Hélas.