NORMALE

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Olivier Babinet est un cinéaste singulier dont l’approche le conduit à mordre les marges. C’était vrai déjà à l’époque de Robert Mitchum est mort (2010), l’histoire d’un comédien en pleine dépression, vrai encore avec Poissonsexe (2020), portrait d’un célibataire qui se verrait bien devenir père. Et toujours vrai avec Normale : un conte qui se joue des genres et donne le beau rôle à une gamine de 15 ans à l’imagination débordante. 

Lucie (Justine Lacroix) vit seule avec William, son père (Benoît Poelvoorde), un homme au regard embué par le souvenir de son amour défunt, qui se complait à rester un vieil adolescent. Lucie est une mère pour son “popa”. Mais entre le collège et la charge du quotidien, elle parvient à s'échapper dans l’écriture d’un roman autobiographique fantasque et fantastique. L’annonce de la visite des services sociaux va conduire père et fille à donner l’illusion d’une vie normale.

Le film surprend par la manière dont le récit, ancré dans une réalité sociale, prend la tangente pour nous donner à partager l’imagination sans borne de Lucie, dont la vie devient à intervalles réguliers un rêve éveillé. “J’aime qu’un film ouvre des portes sur d’autres mondes, sans forcément s’interdire d’être réaliste” explique Olivier Babinet dans sa note d’intention. Justine Lacroix, découverte enfant dans C’est ça l’amour de Claire Burger, impose sans forcer sa bonté et sa détermination. Pétrie de culture séries, elle n’avait jamais entendu parler de Benoît Poelvoorde. Et pourtant, le duo qu’elle forme avec lui restera dans nos esprits longtemps.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver DONNIE DARKO (2002) (Parce que dans le film de Richard Kelly aussi, un adolescent appréhende un monde parallèle invisible pour son entourage.) ou encore LE PRINCE OUBLIÉ (2020) (Une histoire assez voisine mais au rapport inversé puisqu'ici c'est un père à l'imagination débordante qui entraine sa fille dans des récits extraordinaires prenant vie dans un monde imaginaire.).

L’adolescence était au centre du documentaire Swagger réalisé par Olivier Babinet en 2016. Dans le cas de Normale il l’avoue, à la Flaubert : “Lucie, c’est moi”. “D’un côté, j’avais envie de puiser dans mes propres souvenirs : Lucie, c’est moi à bien des égards, avec les doutes, les complexes, les fantasmes et les frustrations amoureuses qu’on a tous connus à cet âge-là. De l’autre, quand je travaille avec des acteurs adolescents, j’aime composer avec ce qu’ils sont « au présent », dans leurs propres vies, même si c’est très loin de ce que j’ai connu.”

Fan de cinéma de genre, il a choisi de donner à son film des contours d’oeuvre de genre fantastique aidé dans son entreprise par son chef décorateur, Toma Baqueni lequel l’a incité à revoir Donnie Darko et surtout It Follows, “parce qu’ils plongent dit-il une jeunesse très contemporaine dans une imagerie de banlieue qui remonte le temps. Le contraste produit emmène le film vers la fable”. C’est en effet perceptible dès les premières scènes qui installent le décor dans la ville de Chelles en lui donnant un aspect “américain”, tandis que l’ambiance tient autant du teen-movie, du film fantastique, mais aussi de la chronique sociale. 

Une formule est venue d’emblée au réalisateur pour définir ce que serait Normale : «une goutte de Miyazaki dans les frères Dardenne ». Cet entre-deux, permet à Olivier Babinet de considérer la réalité sans se faire dévorer par elle. “Lorsqu’on se lance sans recul dans le réalisme social, il y a une certaine esthétique de la pauvreté qui tend à prendre de la place. Je tenais à filmer l’environnement de Lucie et de son père malade, ce foyer clos sur lui-même, sans m’apitoyer sur leur sort. Or l’onirisme permet toujours de rendre l’espace un peu plus respirable.” Voilà ce qu'on appelle “rêver son cinéma”.

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