CONTE D'HIVER

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Et si l’univers d’Eric Rohmer était le chaînon manquant entre Jacques Demy et " Plus belle la vie " ? A voir ce « Conte d’hiver » que vous allez découvrir, on peut sérieusement se poser la question. Du 1er, le film possède la grâce, du second, il emprunte la banalité fascinante du quotidien. L’intrigue : Félicie a connu Charles durant un été. Elle se retrouve enceinte du jeune homme mais une bête confusion postale la prive de tout contact avec lui. D’amours déçues en ruptures, elle finira par le retrouver par hasard et vivre enfin le bonheur qu’elle avait tant rêvé...Rohmer, avait le chic pour faire passer les intrigues de romans de gare pour de la poésie. Son film s’appuie sur un casting majoritairement composé d’inconnus aperçus çà et là et surtout  dans des fictions télé : Charlotte Véry, Frédéric van den Driessche, Michel Voletti ou Hervé Furic n’ont rien de stars hollywoodiennes et pourtant, leur présence, leur naturel et leur candeur apportent à « Conte d’hiver » une spontanéité qui était une des marques de fabrique de ce cinéaste à part, disparu en 2010 à 90 ans...

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LA VIE EST UN ROMAN (Alain Resnais tout comme Eric Rohmer est un passionné de la passion ! Dans "La vie est un roman", il explore le thème de l'amour et du bonheur à travers 3 récits imbriqués, de 1919 aux années 80.) ou encore SHORT CUTS (22 personnages jetés dans le grand bain de la vie, se débattant avec les pièges et les surprises de celle-ci...Robert Altman creuse le même sillon que Eric Rohmer mais multiplie les enjeux et les difficultés !).

Le texte plus que tout autre chose. Le verbe avant même l’image. Eric Rohmer était professeur de lettres, écrivain et amateur de beaux ouvrages : son œuvre toute entière s’en ressent et ce « Conte d’hiver » ne fait pas exception à la règle en puisant allègrement dans le « Winter’s tale » de Shakespeare, tragi-comédie écrite vers 1610 par le maître anglais qui aborde les sujets de l’adultère et des romances compliquées. Un thème qui marque toute la filmographie de Rohmer, de la Nouvelle Vague avec des films comme « Ma nuit chez Maud » ou « Le genou de Claire » à la bifurcation définitive vers la littérature dans les années 70. « Conte d’hiver » s’inscrit dans une séquence intitulée « Conte des quatre saisons », démarrée en 1990 et achevée 8 ans plus tard. Trait d’union entre ces 4 films : l’amour, l’amitié ou les relations humaines vues à travers le prisme de la philosophie. L’intrigue tend vers le beau, la sérénité et la plénitude des personnages, même si elle doit pour cela emprunter des chemins tortueux. C’est dans le banal des décors que les antihéros du film vivent leur destinée : Nevers ou la région parisienne n’ont certes rien de sexy à l’écran mais ils sont aussi tout sauf des décors de carton pâte...Félicie, Charles ou Loïc, là sont jardiniers ou coiffeurs : chacun peut donc se retrouver en eux. Jusqu’au bout, Eric Rohmer a cultivé ce jardin-là : en 2007, son ultime film « Les amours d’Astrée et de Céladon » reprenait la thématique du bonheur à gagner face aux épreuves. Tiré d’un texte d’Honoré d’Urfé, (ci-devant comte de Châteauneuf, marquis de Valromey, seigneur de Virieu-le-grand, mort en 1625), l’intrigue nous plonge dans une communauté gauloise du 5e siècle, au cœur de la relation contrariée d’un petit noble d’une jolie bergère. Voix off omniprésente, costume médiévaux, lumière naturelle, longs plans séquence : ici comme toujours, Rohmer n’avait rien sacrifié à son style exigeant. A sa mort, il travaillait d’ailleurs à un autre projet...