L'IRONIE DU SORT

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En 1974, Edouard Molinaro est un cinéaste comblé par le public moins par la reconnaissance. Au mieux il est alors envisagé comme un bon faiseur. Les triomphes d'Oscar ou Hibernatus lui ont amené cette réputation d'habile faire-valoir pour les acteurs qu'il filme  alors qu'il mérite bien plus. Pour preuve les nombreuses comédies qu'il a signées dans les années soixante, apportant à ce domaine, un sens du rythme effréné et un tempo jazzy. Où ces approches intimistes du polar social, comme La mort de Belle ou Le gang des otages, films passés inaperçus lors de leurs sorties. Tout comme L'ironie du sort.

A Nantes en septembre 1944, Antoine et Jean, deux résistants tentent d'abattre un capitaine de la Gestapo qui a découvert l'existence de leur réseau. Tout peut basculer en fonction de la réussite ou non de la mission. Le film va se projeter dans le futur pour explorer parallèlement les conséquences des deux options et envisager comment un évènement d'à peine une poignée de seconde pourrait changer la destinée d'Antoine, Jean et Anne, la femme dont ils sont tous les deux amoureux.

L'ironie du sort est à rapprocher de certains films d'Alain Resnais, Smoking/No Smoking ou Je t'aime, je t'aime dans sa virtuosité à jouer sur les temporalités ou à parler de la versatilité du hasard. Mais c'est surtout un regard inattendu sur la seconde guerre mondiale. Molinaro prend à rebours tout le cinéma français ayant traité jusque là cette période avec ce portrait de la jeunesse, filmant avant tous ses élans, sa capacité à s'amuser, en dépit de ce qu'il se passe autour d'eux. Bien qu'atypique dans sa filmographie, L'ironie du sort s'y intègre parfaitement en voulant, comme souvent chez Molinaro, préserver coûte que coûte une légèreté comme bouclier contre la noirceur du monde.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver SMOKING/ NO SMOKING (Comme L'ironie du sort, le dyptique d'Alain Resnais propose de suivre deux options de récit en fonction des choix que font les personnages.) ou encore UN HÉROS TRÈS DISCRET (Un autre portrait de la résistance via celui d'un homme qui s'invente un passé héroïque).

L'ironie du sort fait partie d'un cycle particulier dans l'oeuvre d'Edouard Molinaro. Si, après Oscar, Hibernatus a été un nouveau triomphe, il a confirmé en coulisses la relation orageuse entre le réalisateur et Louis de Funès. Comme pour la conjurer, Molinaro va enchaîner des films très éloignés de cette comédie, qui se rattachent de près ou de loin aux bouleversements de l'époque enclenchés par Mai 68.

Ainsi, les films qui suivront seront tous épris de liberté, que ce soit par l'éloge de la paillardise dans Mon oncle Benjamin, un conflit de génération dans La liberté en croupe, ou la fuite de la routine d'une famille dans La mandarine. L'ironie du sort sera pour autant son film le plus aventureux, ne serait-ce que dans sa structure ou son jeu sur la couleur et le noir & blanc. Sans compter ce ton au bord du fantastique ou du métaphysique, allant quasiment sur les plates-bandes d'un Borgès.

L'ironie du sort aura longtemps été occulté que ce soit dans les encyclopédies du cinéma français ou par Edouard Molinaro lui-même qui l'évacue en quelques lignes dans son autobiographie. Probablement pour des raisons personnelles : c'est sur ce film qu'il rencontre Marie-Hélène Breillat, actrice alors en pleine ascension qu'il épousera, mais aussi que commencent à se manifester les troubles psychiatriques qui mèneront à son internement puis à l'arrêt d'une carrière de comédienne très prometteuse. Enorme échec à sa sortie, L'ironie du sort, aurait pu changer l'image de Molinaro, le resituer, par sa part feuilletonnesque ou sa vision désabusée des choses, entre Duvivier et Rivette. De quoi remettre en perspective, la citation de Tennessee Williams qui ouvre L'ironie du sort : "N'importe quoi aurait pu etre n'importe quoi d'autre et tout cela aurait autant de sens".