LA TÊTE D'UN HOMME

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Début des années trente, peu après leur parution, le cinéma s’empare des premières enquêtes du commissaire Maigret, écrites par Georges Simenon. En quelques mois sortent les adaptations du Chien jaune de Jean Tarride, de La Nuit du carrefour de Jean Renoir et de La Tête d’un homme de Julien Duvivier. Trois films qui détournent Simenon du cinéma puisqu’il refusera pendant plus de cinq ans d’accorder tout droit d’adaptation.

Décision injuste au résultat de La Tête d’un homme. De tous les artisans du Réalisme poétique, Duvivier est celui dont la noirceur s’accorde le mieux au monde interlope du Montparnasse décrit par le romancier. Noceur désargenté et sa maîtresse, demi-mondaines, petits hôtels meublés, des êtres en perdition. Un monde nocturne et bruyant, enfumé, une ambiance festive gangrénée par la poisse.

Maigret ne croit pas à la culpabilité de celui que tout accuse, cambrioleur simplet embarqué malgré lui dans le meurtre d’une riche bourgeoise. Il va s’employer à démasquer le véritable meurtrier et son commanditaire.

Comme Maigret, Duvivier gratte les apparences et plonge dans les âmes torturées. La Tête d’un homme n’est pas tant celle de l’innocent qu’il veut arracher à la guillotine que celle de Radek, l’assassin apatride échoué à Paris, rongé par la maladie et la solitude, nourrissant une haine viscérale pour les nantis et que sa mort programmée fait basculer dans la folie. A la façon de Simenon, Duvivier élude l’aspect policier pour la psychologie. Sur un mode expressionniste, sa recherche formelle traduit un univers de cauchemar désespérant.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LA NUIT DU CARREFOUR ou encore L'HOMME DE LA TOUR EIFFEL .

Maigret a beau avoir sauvé la tête de Joseph Heurtin, le bilan est des plus sordides : meurtre de la tante, suicide de Ferrière, flic abattu, accident. Les cadavres, le cinéma naturaliste en est saturé, mu par une pulsion de mort. Ecrasé par la roue d’un autobus de noctambules joyeux, ironique figure de la roue du destin, Radek expire. Le rideau de fer de la pharmacie reste obstinément fermée, malgré les coups frappés. Damia, la « femme lasse » du générique, n’en finit plus de chanter que tout est brume, tout est gris. Ses paroles qui obsèdent Radek peuvent servir d’épitaphes au pessimisme de Duvivier.

Les recherches expressionnistes du cinéaste sont ici soutenues par le jeu du bouriate Valery Inkijinoff. Venu de Russie, assistant d’Eisenstein, proche de Koulechov, il crée avec Meyerhold la biomécanique théâtrale qui fonde le jeu de l’acteur sur une approche purement physique. Son Radek, très impressionnant, en est un exemple accompli. En 1928, il avait triomphé dans Tempête sur l’Asie de Poudovkine, avant de se rendre en France pour y étudier le cinéma parlant. Il y restera pour une longue carrière, jusqu’à son décès en 1973.

Par contraste, Harry Baur, que Duvivier dirigera sept fois, offre une interprétation plus effacée mais subtile de Maigret proche de la description faite par l’écrivain dans Pietr-le-Letton : « La charpente était plébéienne. Il était énorme et osseux. Il avait surtout une façon bien à lui de se camper quelque part qui n'était pas sans avoir déplu à maints de ses collègues eux-mêmes. C'était plus que de l'assurance, et pourtant ce n'était pas de l'orgueil. Il arrivait, d'un seul bloc, et dès lors il semblait que tout dût se briser contre ce bloc soit qu'il avançât, soit qu'il restât planté sur ses jambes un peu écartées. La pipe était rivée dans la mâchoire. Il ne la retirait pas parce qu'il était au Majestic. Peut-être, au fond, était-ce un parti pris de vulgarité, de confiance en soi ? » Charles Laughton reprendra le rôle en 1949 dans un remake intitulé L’Homme de la Tour Eiffel.

Il s'agit d'un film policier, une enquête du commissaire Maigret, l'une des premières adaptations cinématographiques de l'œuvre de Simenon. Le scénario est très bon. Les acteurs sont excellents. Harry Baur interprète un commissaire Maigret un peu en repli, plus spectateur ...

Le film démarre directement sur la scène d'assassinat, avec tous les faits exposés clairement. Duvivier souhaite ainsi ne pas tomber dans le film policier à suspens, mais s'intéresser à l'opposition et à la lutte de deux tempéraments, celui du policier et celui du criminel. ...

Il y a presque deux réalisateurs en un chez Julien Duvivier : un très classique voire un peu plat, et un autre particulièrement novateur et percutant. Ce « duo » se retrouve associé dans « La Tête d'un homme », polar apparaissant tout aussi daté et pantouflard par moments ...