THE SHANGHAI GESTURE

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Mother Gin Sling, Poppy Smith, Dixie Pomeroy, Docteur Omar… Des noms de personnages comme des invitations immédiates au voyage. En 1942, les spectateurs prennent la direction de Shanghai, avec pour guide, Josef von Sternberg. On est au milieu d’un casino, et on ne le quittera presque pas. Là-bas, autour de la roulette, du bar ou des tables de blackjack, il y a toutes les nationalités : des Javanais, des Portugais, des Hindous, des Américains, des Français... Une tour de Babel moderne. « Notre histoire se situe hors du temps présent », nous dit-on. Ici, dans ce lieu brûlant sous la fièvre du jeu, des clients ont des passés mystérieux et des noms qui semblent avoir été créés de toute pièce. 

Au casino de Mother Gin Sling, main de fer dans un gant de velours, l’argent coule à flot. Mais l’établissement prospère va fermer : c’est en tout cas ce que souhaitent des hommes d’affaires et notamment Guy Charteris, qui veut expulser Mother Gin Sling et faire main basse sur le quartier. Mais la gérante ne compte pas se laisser faire. L’arrivée de la sublime Poppy Smith au sein de l’établissement est alors providentielle : grâce à elle, Mother Gin Sling va trouver un moyen très efficace de faire changer d’avis l’entrepreneur… 

« Shangai la perverse ». C’est en ces termes que Josef von Sternberg l’évoque. Il est attiré par son mystère, son exotisme torride et ses jeux de pouvoir. Port de commerce, lieu-phare de la consommation d’opium, elle était vue comme l’antre de la débauche même. Pendant 1h30, le temps va s’arrêter comme dans un rêve angoissant. Adapté d’une pièce jouée à Broadway dans les années 20, ce Shanghai Gesture, sorti en 1942, est une expérience troublante : un film aux couleurs flamboyantes… en noir et blanc.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver SHANGHAI EXPRESS (Des personnages féminins troublants et un brin d'exotisme : la marque de Josef von Sternberg.) ou encore SHANGHAI LADY (Ce film, sorti en 1929, a été écrit par John Colton, auteur de la pièce dont a été tiré Shanghai Gesture.).

Après une carrière fructueuse dans le muet, Josef von Sternberg a connu la gloire dans l’ère du parlant avec l’Ange Bleu, et en offrant à Marlène Dietrich son rôle le plus emblématique. Avec elle, il fera six autres films dont… Shanghai Express en 1931, situé dans une Chine irréelle. En 1935, c’est la fin du cycle : le mythe Dietrich est né. Et même si Von Sternberg s’estime fini, déprimé d’avoir perdu sa muse, six ans plus tard, Shanghai Gesture sera salué par la presse comme l’un de ses plus grands films. Y a pas que Marlène Dietrich dans la vie. Y a Gene Tierney aussi. À 21 ans, et alors qu’elle n’a sous le coude que quelques seconds rôles chez Fritz Lang ou John Ford, Gene Tierney accède au statut de star grâce à Shanghai Gesture, un film répondant par son exotisme et son féminisme à Shanghai Express. C’est elle qui joue la petite fille riche Poppy dans le film. Plus tard, en 44, elle sera rien de moins que Laura dans le Laura d’Otto Preminger. 

Le goût de l’exotisme de Von Sternberg est célèbre : Shanghai Express et Shanghai Gesture se déroulent en Chine comme leurs noms l’indiquent. Cœurs Brûlés ? Au Maroc. Le Paradis des mauvais garçons ? À Macao. Fièvre sur Anatahan ? Sur une île du Pacifique. S’il aime proposer à ses spectateurs de voyager, il aime aussi contrôler les environnements et les décors, les rendre encore plus grandiloquents et fantastiques qu’ils ne le sont, au point de souvent utiliser les studios. Shanghai Express et Shanghai Gesture ont été tournés à Los Angeles. Et si les prises de vues de Fièvre sur Anatahan ont été exécutées au Japon, la jungle a été recréée entièrement en studio, sur place. Ainsi l’artificiel devient sublime chez Sternberg : Shanghai Gesture sera nommé aux Oscars dans la catégorie meilleure direction artistique.   

Joseph von Sternberg avait l’image d’un petit homme amer et difficile dans la collaboration. Il aurait connu des rapports très conflictuels avec les acteurs Charles Laughton et Robert Mitchum, sur I, Claudius et Le Paradis des mauvais garçons. Il n’empêche, Shanghai Gesture pourrait attester d’une personnalité plus douce qu’il n’y paraissait : le générique de début s’ouvre sur des remerciements nourris aux figurants du film, ces « Hollywood extras » qui « donnent le meilleur d’eux-mêmes sans rien attendre en retour ». Rares sont les metteurs en scène qui se sont fendus de cette délicate mention. 

Un film noir, sans le moindre bon gars qui viendrait apporter un peu de vertu au milieu de tout ce vice. Et dans ce bal de gredins, c'est la tenancière de casino Mother Gin Sling qui fait danser tout le monde. Voilà un personnage sévèrement badass, avec ses coiffures qui lui ...

J'étais curieuse de voir ce film de von Sternberg, lui dont l'actrice fétiche était l'impériale Marlene Dietrich, et aussi de découvrir Gene Tierney dans un rôle moins lisse : à cet égard, Poppy est en effet son personnage le plus vénéneux, et telle une plante carnivore, ...

"Shanghai Gesture" semble organiser une fuite absolue hors de la réalité. Mais c'est pour mieux nous emmener en son cœur, dans une traversée des apparences féroce, extraordinairement drôle et réjouissante, parfois émouvante. Les premiers plans donnent le la : au milieu ...